Le concept de liaison est la clé de ce chapitre : seule l'excitation liée obéit au principe de plaisir. L'absence de liaison, l'existence dans l'appareil psychique d'une part d'excitation non liée marque donc la limite du champ d'action de ce principe.

*  *  *

Reprenons maintenant le chapitre depuis le début. Ces notes ne sont pas un résumé; elles ne dispensent pas l'éventuel utilisateur d'avoir le texte sous les yeux.

Freud tente donc dans ce chapitre "d'exploiter de façon conséquente une idée". C'est bien ainsi qu'il faut le lire. Que pour y parvenir il emprunte le langage de la biologie dans des termes que l'évolution des sciences n'a pas retenus n'a pas grande importance. Essayons de nous en tenir à l'idée.

 

p. 71 (édit. Payot, 1981)

La conscience et le système Pc-Cs

"L'investigation des processus inconscient" permet de définir la fonction de la conscience et de situer celle-ci. La réflexion ne part donc pas de la conscience mais bien des processus inconscients et revient à la conscience après coup. N'oublions pas non plus que toute l'article se situe résolument du point de vue économique, considérant la circulation et les échanges de quantités d'énergie.

La conscience est donc la fonction d'un système particulier appelé Cs. Notons ici que la conscience n'est pas le système proprement dit, mais sa fonction. Conscience ne désigne pas non plus un état de certaines données passées par exemple de l'état inconscient à l'état conscient. Il n'est pas question non plus du Moi conscient, capable de juger et d'agir en connaissance de cause.

Freud situe la conscience à la périphérie, au contact du monde extérieur. Mais il souligne aussitôt cette autre donnée essentielle : la conscience est également au contact, sur sa face interne, du reste de l'appareil psychique. Dès lors elle nous apparaît soumise à la double influence de la perception des excitations provenant du monde extérieur et des sensations de plaisir et de déplaisir provenant de l'intérieur. Les deux courants énergétiques : excitations provenant de l'extérieur vers l'intérieur et sensations qualifiées (plaisir / déplaisir) doivent toujours être considérés ensemble.

La distinction entre perception et sensation est ici très importante. Les excitations provenant de l'extérieur et celles provenant de l'intérieur ne sont pas de même nature. En accord avec la conception kantienne, Freud n'accorde pas à la perception la capacité à produire du sens. La perception est simple excitation sensible et si elle doit aboutir à la reconnaissance d'un objet extérieur, ce sera au prix d'un retour de sens provenant de l'appareil psychique lui-même. La perception doit permettre une représentation, il faut donc qu'elle subisse un traitement, traitement que Freud désigne ici sous le nom de liaison et que les auteurs postérieurs appelleront symbolisation. Nous consacrerons plus loin un développement au concept de liaison.

Retenons cependant la proposition suivante : les excitation provenant des sens et transmises au psychisme à travers le système Pc-Cs sont toujours non liées.

p. 72

La mémoire
La fonction conscience n'est pas une mémoire. Aucune donnée n'est stockée durablement dans la conscience, c'est tout simplement impossible. Les données des sens traversent donc la conscience - le système appelé dès lors Pc-Cs (perception-conscience) - et vont se loger dans un autre système de l'appareil psychique. Cette incompatibilité entre donné mémorisé et donné conscient est très importante. Elle implique que la mémorisation est en règle générale un processus inconscient, ainsi que les processus de liaison qui transforment les données sensibles en représentations susceptibles d'être reconnues comme ayant du sens. Reste à expliquer le retour à la conscience, la manière dont les données inconscientes peuvent devenir conscientes.

pp. 75 - 76

Le pare-excitations
Le système Pc-Cs, dans sa partie tournée vers l'extérieur n'a pas pour seule fonction celle de recevoir passivement des excitations. Il constitue aussi une protection, une protection active. L'intentionnalité - pour reprendre un terme relevant de la phénoménologie - permet une atténuation significative des quanta d'excitation, une focalisation sur certaines perceptions. Le système Pc-Cs fonctionne donc comme un pare-excitations possédant sa propre réserve d'énergie. La métaphore que Freud utilise est sans ambiguïté quant au caractère actif du pare-excitations : "on pourrait les (les organes des sens) comparer à des antennes qui font des tentatives d'approche vers le monde extérieur pour à nouveau s'en retirer".

La temporalité
La remarque que Freud formule à propos de la temporalité (p. 76) prendra tout son sens plus tard. Bornons-nous à quelques réflexions encore superficielles.
Seule la conscience connaît la temporalité, qui découle de son caractère réflexif. Les processus inconscients sont "intemporels". Qu'est-ce à dire ? On parlait tout à l'heure de mémoire. De toute évidence cette mémoire se constitue et se transforme dans le temps. C'est vrai, mais les processus psychiques inconscients, eux se manifestent sans passé ni avenir. C'est même cela qui explique la répétition. Ce qui est répété ne l'est pas pour que cela ait lieu une fois de plus, mais parce que cela a lieu toujours comme si c'était la première fois. La répétition, c'est l'insistance de l'inaccompli, de ce qui jamais ne pourra être accompli et transformé en passé, digéré: une force errante qui se heurte toujours au même mur.

p. 77

Nous retrouvons ici la situation particulière - entre deux - du système Cs: exposé à la fois aux excitations provenant de l'extérieur et aux sensations qualifiée provenant du dedans. Freud considère les choses sous un angle purement quantitatif. Il établit cependant une hiérarchie entre les excitations internes qui portent la marque du plaisir ou du déplaisir, prévalentes, et les excitations externes qui ne portent aucune marque.

p. 78

La projection
Quand une excitation interne est trop fortement marquée par la sensation de déplaisir, elle est projetée à l'extérieur (comment ? par quelle instance?) et se voit conférer l'aspect d'une excitation externe, contre laquelle les ressources du pare-excitations sont mobilisables. C'est ainsi, par exemple, que le Moi, envahi par un sentiment d'agressivité désagréable va attribuer cette agressivité à une personne extérieure, se mettant en état de subir son attaque et se préparant à la recevoir toutes griffes dehors.

Ici se termine la première partie du chapitre. Comme on l'aura peut-être remarqué, tout ce qui précède nous montre la circulation de l'excitation telle qu'elle peut se dérouler sous la domination du principe de plaisir. Un résumé s'impose.

Freud a décrit un appareil psychique divisé en deux parties, l'une périphérique, à la frontière du monde extérieur, le système Pc-Cs et l'autre interne, lieu des processus psychiques inconscients: le reste de l'appareil psychique.

Il existe deux sources d'excitations, l'une externe (perceptions), l'autre interne (sensation de plaisir - déplaisir). Les excitations externes pénètrent dans l'appareil psychique sous forme de perceptions non liées. Elles produisent une modification de l'appareil psychique (traces mnésiques) et subissent une élaboration (liaison) permettant leur retour à la conscience sous forme de représentations. C'est la liaison qui définit le caractère agréable ou désagréable de la sensation. Conclusion : pour être interprétée en termes de plaisir ou de déplaisir, une excitation doit être liée. Dès lors elle devient gérable dans le sens d'une diminution de la tension.

Notons au passage qu'il n'est pas une seule fois question du moi dans ce chapitre. Freud situe sa réflexion à un niveau plus élémentaire, qui ne fait pas encore intervenir le moi. Il pourrait donc y avoir une conscience sans Moi, le Moi n'est pas indispensable à la compréhension de la fonction conscience.


La deuxième partie du chapitre vise à rendre compte, dans le cadre du modèle proposé, des processus qui échappent au principe de plaisir.

Le traumatisme
"Nous appelons traumatiques les excitations externes qui sont assez fortes pour faire effraction dans le pare-excitations."
On pourrait imaginer, dans la situation normale, une sorte de liaison en continu des excitations externe par un va-et-vient constant entre les données liées (représentations) internes et les perceptions non liées. C'est un processus de reconnaissance qui permet l'assimilation des données compatibles avec le principe de plaisir et l'évitement de ce qui pourrait conduire au déplaisir.

Mais en cas de traumatisme, l'appareil psychique est envahi par une grande somme d'excitation.Pour que celle-ci entre dans le domaine du gérable, il faut la lier d'urgence.
Une simple douleur physique est un traumatisme.

p. 79

La douleur se manifeste, il faut en quelque sorte l'apprivoiser. Freud inverse la vision la plus habituelle. D'ordinaire, on pense que ce qui est ressenti est l'impact de l'agression extérieure qui s'impose par sa violence. Freud dit au contraire que c'est l'importance du contre-investissement psychique qui compte ici, et il en donne pour preuve qu'il se traduit par un appauvrissement de tous les autres systèmes.

p. 80

Nous en apprenons un petit peu plus sur la liaison. Freud se réfère directement à Breuer. Reprenons mot à mot ce qu'il nous dit, mais à partir du texte allemand.

- Il s'agit de deux formes de réalisation de l'énergie (Energieerfüllung) :

- un écoulement libre imposant la décharge;

- un investissment apaisant par le système psychique.

Et Freud d'ajouter : "Peut-être pouvons-nous admettre l'idée que la "liaison" de l'énergie qui afflue dans l'appareil psychique consiste à faire passer celle-ci de l'état de libre flux à un état apaisant".

La frontière entre le principe de plaisir et son au-delà est ici clairement tracée. C'est la liaison de l'énergie qui la place sous la domination du principe de plaisir.

p. 81

La névrose traumatique et le rêve
A partir de là, Freud peut revenir à la névrose traumatique. L'effroi a été rendu possible par une insuffisante préparation du système Pc-Cs par l'angoisse, cette dernière étant "la dernière ligne de défense du pare-excitation".

Dès lors, on peut rendre compte des rêves récurrents caractéristiques de la névrose d'angoisse.

Sous la domination du principe de plaisir, le rêve a pour fonction de fournir à une revendication pulsionnelle une forme hallucinée de réalisation. Pour que ce mécanisme puisse opérer, il faut que la revendication pulsionnelle soit représentable et elle ne peut l'être que si la liaison a eu lieu. Les rêves des névrosés traumatiques ont une autre fonction, celle d'appeler aux conditions de la liaison. Mais cela ne veut pas dire que la liaison soit possible pour autant.

p. 82

Des rêves de la névrose traumatique, par le biais de la compulsion de répétition, on peut passer aux rêves qui, dans la cure analytique, ramènent de façon récurrente le souvenir des traumatismes psychiques de l'enfance: retour de l'inaccompli, rappel des conditions de la liaison aussi longtemps que la liaison n'aura pas eu lieu.

Cette réflexion sera reprise et développée après Freud par des auteurs tels que Winnicott, Bion ou, plus près de nous, René Roussillon.


que-vent-emporte

Aucun commentaire n'a encore été ajouté !
 

Ajouter un commentaire









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://cafe-babel.cowblog.fr/trackback/2969571

 

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Page suivante >>

Créer un podcast