Avertissement aux amateurs de copier-coller et aux gardiens de l'orthodoxie
Ce texte est un document de travail, pas un exposé magistral. Son contenu ne saurait faire autorité.

Premières discussions (22 et 23 février)

Lacan passe pour un auteur difficile.
Alors quelques notes de lecture pour tenter de mettre en évidence les concepts les tournures, voire les tics lacaniens tels qu'ils apparaissent au fil du texte.


Ouverture du séminaire (18 novembre 1953)

Il s'agit d'un exposé, probablement écrit, qui dit beaucoup de choses sans les dire.
C'est un des premiers aspects du mode d'exposition lacanien : ce qui est important n'est pas présenté explicitement comme tel. A l'auditeur ou au lecteur d'être assez malin pour trouver.

1. Le séminaire

Par exemple, il commence avec une remarque assez banale sur la recherche du sens selon la technique zen. Il ne dit pas en quoi cela est important.

Il faut comprendre cela comme un indice.
La technique zen selon Lacan :
- il appartient aux élèves eux-mêmes de chercher la réponse à leurs propres questions ;
- le maître n'enseigne pas ex cathedra une science toute faite ;
- il apporte la réponse quand les élèves sont sur le point de la trouver.
On se dit d'abord que c'est ainsi que Lacan conçoit son séminaire.
Puis on se rend compte que l'analyse fonctionne sur ce modèle.
On en conclut que peut-être le paradigme de l'analyse gouvernera le séminaire lui-même, que le séminaire lui-même est appelé à se fondre dans son objet.

2. Pas de système freudien

Cet enseignement est un refus de tout système.

Il parle du zen, toujours, mais c'est bien du séminaire qu'il s'agit. Et je pense que nous avons ici une clé de la « pensée lacanienne ». Se réclamer du refus de tout système peut sembler banal. Ce ne l'est plus dès lors qu'on prend l'exigence tout à fait au sérieux.
- Freud n'a pas construit de système. On peut dire qu'il n'y a pas de doctrine freudienne (quoique Freud ait lui-même utilisé ce terme). Les concepts que Freud a dégagés de la pratique analytique n'ont jamais été mis en système. Est-ce parce que Freud n'a pas eu le temps de le faire, ce qui donnerait raison à ceux qui, après lui, ont tenté l'entreprise ?
Pour Lacan, c'est clairement non. Il n'y a pas de système freudien parce que cette pensée est trop vaste, trop complexe pour pouvoir être embrassée d'un seul coup d'œil. La carte du champ freudien n'est pas encore dressée et ne le sera peut-être jamais. Réduire une pensée aussi mouvante, aussi dialectique, en système, c'est la fausser.
Peut-être justement parce que l'essentiel de cette pensée ne se trouve pas dans les concepts qu'elle a formés, mais dans son mouvement même.
Etudier la psychanalyse ce n'est donc pas examiner un objet, une doctrine, mais c'est tenter d'entrer à son tour dans ce mouvement.
Au fond, Freud importe beaucoup moins par ses écrits, par sa théorie, que par la possibilité qu'il nous donne d'entrer dans sa démarche et de la comprendre de l'intérieur.
Et cela nous donne la clé du Séminaire de Lacan. Chaque année, un concept est étudié, non pas comme un élément du « sastème » freudien, mais pour lui-même, dans « sa vie propre » et en relation avec tous les autres. Pour prendre une image, c'est comme la description d'une ville qui serait indéfiniment recommencée, mais chaque fois depuis la fenêtre d'une maison différente.

3. La rupture freudienne

Freud a vécu en un siècle scientiste. C'est un savant du 19e siècle. Dans cette même perspective scientiste, c'est un théoricien forcément dépassé. Mais il a rompu avec cette perspective et cette rupture, elle, demeure parfaitement actuelle. Notre siècle ne l'a même pas encore digérée. Nombre de commentateurs, voire de continuateurs de Freud n'ont pas su prendre acte de cette rupture.

L'objet des recherches de Freud, c'est la névrose. Freud, au départ est un médecin spécialisé dans le traitement des troubles nerveux.
La perspective traditionnelle – scientiste -  consiste, devant un trouble, à chercher ses causes. Tout dysfonctionnement a une cause et la connaissance de cette cause permet de chercher un traitement qui supprime la relation cause – conséquence.
Imaginons l'homme de science, sujet connaissant pleinement maître de lui-même, isolant son objet et s'interrogeant à son propos.
Freud, pour une série de raisons qu'on ne précisera pas ici, adopte un point de vue complètement différent.
Il découvre que les troubles qu'il cherche à traiter ne relèvent pas d'un jeu de forces physiques ou de réactions chimiques. Les symptômes névrotiques et particulièrement ceux de l'hystérie, qui miment des troubles organiques sans en être, sont du langage. Ils ne sont pas là parce qu'ils ont une cause, mais parce qu'ils ont un sens.
Il découvre que le langage n'intervient pas seulement dans la sphère de la communication ou de la pensée délibérée, mais qu'en nous, jusqu'au plus bas niveau, ça parle. Bref, la structure sous-jacente aux troubles nerveux, c'est du langage.
Non seulement les pulsions élémentaires nous « parlent », mais le fonctionnement du psychisme subit un déterminisme qui est de l'ordre du discours.
Ce changement de perspective permet à Freud de traiter les névroses. Mais il a des implications beaucoup plus fondamentales notre compréhension de ce qu'est un homme. Il déborde largement du cadre proprement médical.

4. Le réel et le symbolique

Ce changement radical de point de vue amène Lacan à proposer une première structure fondamentale : la distinction entre le réel et le symbolique, sans quoi la perspective freudienne ne serait tout simplement pas intelligible. Comment la présenter de manière claire ? C'est la notion de réel qu'il faut redéfinir le plus profondément. Le monde, dit Wittgenstein, c'est tout ce qui arrive. Il dit « monde », nous disons « réel ». Mais là-dedans, dans le réel donc en tant que réel, il n'y a pas la moindre parcelle de sens. Le sens du réel, c'est justement le symbolique. Notre esprit se rebelle contre cette idée que le réel n'aurait pas de sens. Mais cela ne veut pas dire que le réel soit à tous égard désordonné et imprévisible. Prenons les lois de la physique. Elles ne sont pas extraites du réel, pas plus que le mot arbre n'est produit par l'arbre lui-même. Ce sont des structures qui constituent l'intelligibilité du réel, par lesquelles on confère du sens au réel. Les formules physiques sont de pure créations langagières, mais grâce à elles certains phénomènes sont dotés par nous d'un sens.


5. Structure

Une structure, c'est un dispositif relevant du symbolique, qui rend le réel lisible, dans une certaine mesure. La relation analytique est une structure qui permet au sujet de se comprendre et de rendre lisibles ses propres dysfonctionnements. La subjectivité est une structure, celle « qui donne aux hommes cette idée qu'ils sont à eux-mêmes compréhensibles ; le moi est une structure et en tant que tel, le moi n'est pas du réel. La distinction entre concept et structure n'est pas facile à établir. Je pense que le plus souvent, c'est la même chose.


6. Le symbolique

Le symbolique, c'est, nous l'avons dit, le domaine du langage. Une théorie, c'est du langage. Les mots naissent des mots, les concepts naissent des concepts. Ce n'est pas le réel qui produit les mots, les concepts. La naissance des concepts est parfois difficile. Il faut en particulier que la référence au réel soit garantie et que cet engendrement des concepts par les concepts ne fonctionne pas de manière automatique, en vase clos.



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- Ah, je vois, vous êtes un spécialiste de Nietzsche ? Ça tombe bien, parce que justement…
- Un spécialiste, moi ? Pas du tout. Mais je sais lire et ce que je lis, je peux en parler, un peu.

Et ça tombe bien, parce que Nietzsche, on ne le résume pas. Il faut le lire.

Par delà le bien et le mal (1886)

C'est comme un blog. Une succession de textes brefs, beaucoup plus brefs que les chapitres d'un livre, le tout regroupé sous un titre. Une pensée qui s'exprime de façon discontinue. Choix esthétique ? Impuissance ?
Ne cherchons pas midi à quatorze heures. Un choix, peut-être, mais surtout une nécessité. Cette pensée-là, de bout en bout, est incompatible avec tout système. Tenter vaille que vaille une synthèse de tout cela, ce serait passer à côté.
L'idée que la pensée est une, homogène et exprimable d'un seul jet est une croyance.
Ne cherchons donc pas à résumer Nietzsche, à le mettre en système.

A propos de Nietzsche, on prend volontiers prétexte de sa folie pour dire : c'est fulgurant, mais tout n'est pas bon à prendre. Il faut savoir garder ses distances, faire la part du délire. On se rassure ainsi à bon compte. En effet, si on joue le jeu, si on accepte de voir les chose de là où il s'est posté pour les examiner, on ne peut que reconnaître la pertinence de son regard. Nietzsche, c'est une ligne de rupture. Il ne détruit pas, il reconnaît avant les autres la fin de la philosophie, le caractère illusoire de nos garde-fous, la course à l'abîme. Il n'a pas tué Dieu mais seulement constaté sa mort.
Il ne dit pas : la Vérité parle par ma bouche, croyez-moi sur parole. Mais seulement : Je dis ce que j'ai à dire. Ecoutez-moi si vous voulez, et faites-en ce que vous pourrez.

§1
Der Wille zur Wahrheit, der uns noch zu manchem Wagnisse verführen wird, jene berühmte Wahrhaftigkeit, von der alle Philosophen bisher mit Ehrerbietung geredet haben: was für Fragen hat dieser Wille zur Wahrheit uns schon vorgelegt! Welche wunderlichen schlimmen fragwürdigen Fragen! Das ist bereits eine lange Geschichte, - und doch scheint es, dass sie kaum eben angefangen hat? Was Wunder, wenn wir endlich einmal misstrauisch werden, die Geduld verlieren, uns ungeduldig umdrehn? Dass wir von dieser Sphinx auch unserseits das Fragen lernen? Wer ist das eigentlich, der uns hier Fragen stellt? Was in uns will eigentlich "zur Wahrheit"? - In der that, wir machten langen Halt vor der Frage nach der Ursache dieses Willens, - bis wir, zuletzt, vor einer noch gründlicheren Frage ganz und gar stehen blieben. Wir fragten nach dem Werthe dieses Willens. Gesetzt, wir wollen Wahrheit: warum nicht lieber Unwahrheit? Und Ungewissheit? Selbst Unwissenheit? - Das Problem vom Werthe der Wahrheit trat vor uns hin, - oder waren wir's, die vor das Problem hin traten? Wer von uns ist hier Oedipus? Wer Sphinx? Es ist ein Stelldichein, wie es scheint, von Fragen und Fragezeichen. - Und sollte man's glauben, dass es uns schliesslich bedünken will, als sei das Problem noch nie bisher gestellt, - als sei es von uns zum ersten Male gesehn, in's Auge gefasst, gewagt? Denn es ist ein Wagnis dabei, und vielleicht giebt es kein grösseres.

«  Wille zur Wahrheit » , volonté de vérité, fait évidemment écho au fameux « Wille zur Macht », qu'on traduit en général par volonté de puissance. Dans les deux formules, le terme le plus important est évidemment Wille : volonté.
    - Que veut le philosophe, que veut l'homme ?
    - Que pourrait-il vouloir d'autre que le vrai ? La philosophie ne procède-t-elle pas tout entière de ce         vouloir ?
    - Donc, vous admettez sans restriction que Vérité, il y a ?
    - Comme réalité ou comme norme, en effet, elle est. Mais là n'est pas la question.
Nietzsche ne veut pas savoir si la vérité est, et si oui comment. La vérité, c'est comme le Bien, comme le Mal : quand on est au-delà…
Non. Ce qu'il pointe du doigt, c'est ce lien « nécessaire » entre la vérité (si possible avec un V majuscule) et le vouloir de l'homme.
Et là, il retourne toute la philosophie comme une crêpe.
Au-delà du Bien et du Mal, en effet, on doit poser à nouveau, et de façon radicale, la question du vouloir de l'homme, donc de l'homme.

Mais il y a aussi ce Sphinx et cet Œdipe, qui semblent hésiter sur leurs rôles réciproques dans ce retour du vieux mythe.
Dans le mythe, c'est le Sphinx qui interroge. Une question vitale, puisque le candidat malgré lui sera dévoré s'il répond à côté. Peu importe la question, c'est la réponse qui compte : « l'homme ». En répondant au Sphinx, l'homme doit donc se trouver lui-même, sinon il meurt. Œdipe trouve la réponse, c'est le sphinx qui doit mourir.
Vainqueur, Œdipe ? Pas vraiment, puisque sa victoire contre le Sphinx lui rapportera le trône de Thèbes et signera l'accomplissement de la malédiction qu'il voulait éviter à tout prix. Une sacrée histoire !

La volonté de vérité, c'est le Sphinx. Et si, dans un sursaut extrême et ultime de ce vouloir de vérité, nous arrachions au Sphinx SA vérité ?
C'est-à-dire que tout cela n'est qu'un préjugé et que la Vérité proposée comme unique objet au vouloir n'est qu'un leurre, un détournement de ce vouloir.

    Première question : Qui veut le vrai, en somme ?
    Deuxième question : D'où nous vient ce curieux mariage du vouloir et du vrai ?
Sur ces questions, on s'use les dents. Ce ne sont pas encore les bonnes.
    Alors, troisième question : Que vaut le vrai ?

Mais, cette question, qui la pose ?
    - Le Sphinx, qui s'étrangle avec son propre vouloir et qui s'effondre sur lui-même ? (Voyez l'état de             la philosophie aujourd'hui.)
    - Œdipe, l'innocent, bientôt aveugle, qui ne sait pas quel risque il prend ?

Quel est donc ce risque ? Celui de nous rendre compte qu'au-dessus de l'abîme, le pont, sur lequel nous marchions si sereins quand nous ne posions pas de questions, ne possède pas de garde-corps, et même que sous nos pieds, il n'y a jamais eu de pont.
Il est urgent d'apprendre à voler.


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Trois pages pour expliquer de façon lumineuse et progressive en quoi consiste l'analyse.

1. « C'est la reconstitution complète de l'histoire du sujet qui est l'élément essentiel, constitutif, structural, du progrès analytique. »
Attention, soyons attentif d'abord à ce que cette phrase ne dit pas. Elle ne dit pas que le but de l'analyse soit la reconstitution complète de l'histoire du sujet. Elle dit simplement qu'elle en est l'élément essentiel, constitutif, structural. Bref, on dit que c'est en cela qu'elle consiste. On pourra aller jusqu'à dire qu'elle se déroule « comme si » c'était là son véritable but.

Soyons attentif ensuite à ce qui est presque implicite : si c'est de l'histoire du sujet qu'il s'agit, ce dont l'analyse est faite, ce n'est pas de généralités concernant telle ou telle affection nerveuse, mais bien de quelque chose de tout à fait singulier.
On voit que l'approche freudienne cherche pas, à partir des symptômes, à identifier une maladie dûment répertoriée dans un manuel de médecine, à laquelle serait associé un protocole déterminé, identique pour tous les patients souffrant de la même affection.

2. « Le prendre dans sa singularité (…) cela veut dire essentiellement que pour lui (Freud), l'intérêt, l'essence, le fondement, la dimension propre de l'analyse, c'est la réintégration par le sujet de son histoire … »
C'est donc en cela qu'elle consiste, de cela qu'elle est faite, l'analyse. Mais n'oublions pas le « comme si » du point 1 !

3. La phrase continue : « … la réintégration par le sujet de son histoire jusqu'à ses dernières limites sensibles, c'est-à-dire jusqu'à une dimension qui dépasse de beaucoup les limites individuelles. »
Qu'est-ce à dire ? Littéralement que l'histoire du sujet déborde des limites individuelles de celui-ci. Elle précède sa naissance, elle implique d'autres acteurs. Elle peut remonter les générations. Cette non-coïncidence de l'individu avec son histoire en tant que sujet et, allons jusque-là, la non-coïncidence du sujet avec ce que nous appelons l'individu sont ici des notions essentielles.

4. Revenons au « comme si ». L'analyse met-elle systématiquement l'accent sur le passé ? En d'autres termes, « la réintégration par le sujet de son histoire », est-ce la réintégration par le sujet de son passé ?
Justement pas, et attention, la nuance est décisive pour la compréhension de l'ensemble du propos.
L'histoire et le passé ne sont pas la même chose. Ou alors il faut préciser que « l'histoire est le passé pour autant qu'il est historisé dans le présent ».
L'histoire, c'est du présent, c'est la façon qu'a le passé d'appartenir au présent. Et l'on voit dès lors que si le passé est unique, son histoire qui se conjugue au présent peut être diverse.

5. Lacan insiste sur le fait que la réintégration par le sujet de son histoire n'a jamais cessé d'être pour Freud l'essence de l'analyse, même après l'élaboration théorique du point de vue structurel (moi, ça, surmoi). Sur ce point, Lacan se démarque des épigones de Freud, qui s'appuient sur ce point de vue structurel pour centrer l'analyse sur les rapports des trois instances hic et nunc.

6. C'est l'histoire qui compte, l'histoire en cours d'élaboration et non pas le passé en tant que tel. « Le fait que le sujet revive, se remémore, au sens intuitif du mot, les événements formateurs de son existence, n'est pas en soi-même tellement important. Ce qui compte, c'est ce qu'il en reconstruit. » Et ça, ça a lieu dans le présent. «En fin de compte, ce dont il s'agit, c'est moins de se souvenir que de réécrire l'histoire. »

7. Alors qu'est-ce que l'analyse ? « … dans la conception de Freud lui-même, (…) il s'agit de la lecture, de la traduction qualifiée, expérimentée, du cryptogramme que représente ce que le sujet possède actuellement dans sa conscience – qu'est-ce que je vais dire ? de lui-même ? non, pas seulement de lui-même – de lui-même et de tout, c'est-à-dire de l'ensemble de son système. »
    Plusieurs choses dans cette citation :
    a. Ce qu'il faut lire et traduire, ce cryptogramme, c'est du langage.
    b. C'est présent actuellement dans sa conscience, c'est l'état brut, largement implicite de son histoire         de sujet.
    c. Et, comme nous l'avons déjà souligné au point 3, cette conscience est conscience non pas de soi         seulement, mais de tout un système bien plus vaste, incluant la famille, l'époque, l'état de la  culture.


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Autour de la lecture des Méditations cartésiennes

Vous voulez aborder Husserl ? Alors prenez garde au mot philosophie. Retirez-le du bourbier dans lequel il est tombé.  L'objet principal de la philosophie de Husserl n'est pas une vague sagesse, une vague morale, une vague critique de la vie de fous que nous menons, mais bien la philosophie elle-même.
- Qu'est-ce que connaître ?
- Peut-on expliquer pourquoi les sciences « fonctionnent » ?
- Peut-on donner à la connaissance un socle de certitudes qui légitimerait et unifierait l'ensemble des sciences ?

Husserl se réclame de Descartes. La phénoménologie transcendantale est un cartésianisme. Bien que critique à l'égard des résultats de la pensée de Descartes, Husserl reprend pleinement à son compte le projet de celui-ci.

Constatant une contradiction profonde et irrémédiable entre l'essor rapide et fructueux des sciences naissantes et la philosophie qui devrait en rendre compte, Descartes a voulu soumettre celle-ci à un doute radical et a entrepris de la refonder sur un nouveau socle de certitudes.

La réforme cartésienne n'a pas abouti. La philosophie nouvelle ne s'est pas imposée comme l'unité universelle des sciences. Les scientifiques s'en sont peu souciés et, selon Husserl, Descartes lui-même n'a pas été en mesure de tirer toutes les conséquences du cogito.

Avec sa phénoménologie transcendantale, Husserl prétend reprendre à son compte l'entreprise cartésienne.

Est-ce bien nécessaire ? Les sciences d'aujourd'hui ont-elles besoin de la philosophie ? Ne s'en sont-elles pas affranchies une fois pour toutes ?

Il y a pourtant bien un problème. Si elles ne se réclament pas de la philosophie, les sciences, même les plus performantes, en ont une, implicite, dont elles dépendent, une forme d'objectivisme naïf qui ne vaut pas grand-chose.

Tout se passe en effet comme si le scientifique accédait directement au réel, comme si la science était l'expression immédiate de son objet.
Or, nous pouvons être sûrs que ce n'est pas le cas. Ce n'est jamais sur le réel que nous travaillons, mais sur la représentation que nous en avons, et la véracité de cette représentation demande à être fondée.

Tel est le projet de Husserl.

Texte allemand des Pariser Vorträge ici.


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Sein und Zeit s'ouvre sur le constat de l'oubli de l'être et sur l'exigence d'un retour au sens de l'être. Pourquoi pas, après tout. Mais on commence à se poser de sérieuses questions quand on voit Heidegger récuser d'un trait de plume toute la tradition philosophique occidentale et nous proposer sans rire de remonter en deçà d'Aristote et de Platon, à une philosophie… d'avant la philosophie.

Admettons que la philosophie occidentale soit passée à côté du sens de l'être, mais pourquoi est-ce si important ? Si on ne comprend pas ça, on s'égare.

Et d'abord, voyons d'un peu plus près ce que Heidegger lui reproche, à la philosophie occidentale. En gros, il lui reproche à d'avoir fait passer  l'expérience humaine à travers des cribles qui n'en retenaient qu'un aspect, qu'une dimension. Bref, il lui reproche d'avoir d'emblée adopté une perspective qui lui interdisait de rendre compte de ce qui constitue l'objet même de la philosophie : le sens de notre être-au-monde.

Je m'exprime ici de façon métaphorique, en des termes peut-être inadmissibles pour un heideggerien pur sucre, mais l'ouvrage s'ouvre sur un carrefour et l'important, à ce stade, c'est moins de marcher avec élégance que de ne pas se tromper de route.

Nous parlions de perspective. Revenons un peu sur ce terme, car tout peut bien se  résumer à une question de perspectives (au pluriel) :
 - une perspective sous laquelle la question de l'être ne se pose pas et paraît parfaitement superflue ;
-  une autre sous laquelle elle est La Question, une question telle qu'il ne peut y en avoir d'autre.

Si je dis que le monde est la somme de tous les étants, je m'intéresserai aux attributs de ces étants et à l'étant « homme » j'attribuerai – entre autres- la conscience. Mais surtout, je tiendrai le sujet pour un étant parmi les autres, jusqu'à distinguer par exemple une substance matérielle et une substance pensante. L'homme, le philosophe, le sujet – on voit bien qu'entre ces termes on hésite - n'est qu'un étant au milieu de tous les étants dont la somme constitue le monde. Ce n'est pas l'être ici qui nous intéresse, mais la substance. Plus encore, partant du monde considéré comme tel, je suis obligé d'instaurer une coupure entre le monde tel qu'il est en soi et le monde tel qu'il m'apparaît.

La perspective de Heidegger est radicalement autre. Il n'y a pas d'un côté le monde et de l'autre le sujet connaissant, l'objet et le sujet, avec cette nécessité de s'inventer un point de vue pour les considérer dans leur relation. Il y a une expérience, appelons ça ainsi, que Heidegger appelle le Dasein : l'être-là ou l'être-au-monde. Cette expérience ne se confond pas avec l'individu ou le sujet connaissant, elle inclut le monde. Elle n'est pas dans une perspective, elle est la perspective. Heidegger dit : un possible. Le monde est le champ des possibilités du Dasein, l'être du monde appartient à la structure de la subjectivité. L'homme est en tant qu'il est l'être du monde. Cet être n'est pas une vérité cachée mais un sens à construire.
Heidegger dit que le Dasein est l'accès à l'être. Je pense qu'il est plus clair de dire que  dès le moment où l'homme se reconnaît comme Dasein, il ne peut être que hanté par le souci de l'être.



Un petit exercice, juste comme ça, pour se détordre un peu la tête : essayer de relire le début de Sein und Zeit en remplaçant le mot "être" par le mot "présence".



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