Avertissement aux amateurs de copier-coller et aux gardiens de l'orthodoxie
Ce texte est un document de travail, pas un exposé magistral. Son contenu ne saurait faire autorité.

Nous allons consacrer nos cinq ou six prochains articles au Méditations Cartésiennes d'Edmund Husserl. C'est un texte assez touffu; les notes qui suivent devraient en faciliter un tout petit peu l'accès.

1. Le plan de l'ouvrage

        Première Méditation :
                     Le cogito comme certitude apodictique

        Deuxième Méditation :
                    L'intentionnalité et la théorie phénoménologique de l'objet intentionnel

        Troisième Méditation :
                    L'évidence ou le critère de la vérité

        Quatrième Méditation :
                    La théorie phénoménologique du sujet

        Cinquième Méditation :
                    L'intersubjectivité et la constitution d'un monde objectif commun.

2. Remarque sur le mode d'exposition chez Husserl

Comme il le souligne clairement lui-même, Husserl ne procède pas de façon déductive. Il ne part pas du simple pour arriver au complexe, il ne progresse pas de manière linéaire. En phénoménologue, il va, comme quelqu'un qui réglerait un instrument d'optique, du très flou au flou, puis du flou au moins flou, et du moins flou au presque net. (L'absolument net étant un idéal qu'on ne peut qu'approcher.) Il en résulte, pour le lecteur trop pressé, un sentiment étrange et erroné d'obscurité permanente, de circularité, de répétition. En revanche, le lecteur attentif pourra constater que ce n'est jamais la même chose, que de boucle en boucle, la problématique se précise. Il faut noter aussi que Husserl progresse souvent par sauts qualitatifs, par renversements de perspective, par dédoublements de concepts (je naturel et je transcendantal). Tout cela le rend difficilement résumable en quelques mots.

CAFE-BABEL

Avertissement aux amateurs de copier-coller et aux gardiens de l'orthodoxie
Ce texte est un document de travail, pas un exposé magistral. Son contenu ne saurait faire autorité.

EDMUND HUSSERL
MEDITATIONS CARTESIENNES
Notes de lecture

Nous avons travaillé avec la traduction française des Cartesianische Meditationen parue en 1994 aux Presses universitaires de France, dans la collection Epiméthée.
Les pages indiquées (à droite) sont celles de l'ouvrage.

Texte allemand disponible ici.


INTRODUCTION

Husserl est-il parti de Descartes ? Est-il revenu à Descartes ? Un meilleur spécialiste de Husserl que nous pourrait le dire. Toujours est-il que dans les Méditations Cartésiennes, il inscrit clairement sa propre démarche dans celle de Descartes.
Mais attention. Si Husserl se réclame de la démarche cartésienne, il n'a  rien à voir avec ce qu'on appelle le cartésianisme.
Comme Descartes, Husserl a pour but « une réforme totale de la philosophie pour en faire une science dotée d'une fondation absolue ».
Comme Descartes, Husserl entend rompre avec l'  « objectivisme spontané » et définir un « subjectivisme transcendantal ».
A partir de là, les chemins divergent radicalement.

Donc, au départ des Médiations cartésiennes, le retour à l'ego cogito.

PREMIERE MEDITATION
La voie vers l'ego transcendantal
p. 49
§ 3 - Le renversement cartésien et l'idée téléologique rectrice d'une fondation de la science

Comme Descartes, nous commencerons par une mise en doute radicale de toutes les convictions, de toutes les sciences.
p.50
Mais nous devons aller plus loin que ne l'a fait Descartes, qui « souscrivait par avance à un idéal de la science, celui de la géométrie et, donc, de la science mathématique de la nature ». Pour Husserl, c'est un « préjugé lourd de conséquences ».

Discutons rapidement cette question :
a) « par avance »
« Pour Descartes, il allait de soi d'emblée que la science universelle avait la forme d'un système déductif au sein duquel tout l'édifice devait reposer sur un fondement axiomatique justifiant la déduction. »
La certitude de soi de l'ego fonctionne comme un axiome à partir duquel le reste se déduit à la manière géométrique.
b) Husserl écarte donc clairement tout idéal normatif de la science, aucune science existante ne saurait servir de modèle.
pp.51, 52, 53
§4 - On dévoile le sens téléologique de la science en s'y plongeant comme dans un phénomène noématique
p.54
§5 - L'évidence et l'idée de la science véritable
p.55
« Nous devons acquérir par nous-mêmes tout ce qui a pu donner lieu à des commencements en philosophie. » (p.55)
pp.56, 57
« La question du commencement est (alors) la question des connaissances absolument premières qui seront destinées à porter tout l'édifice de la connaissance universelle, et seront en mesure de le faire. » (p.57)

§6 - Différenciations de l'évidence. L'exigence philosophique d'une évidence apodictique absolument première

Le doute radical doit nous conduire jusqu'à une certitude absolue, une indubitabilité absolue.
pp.58, 59
Nous devons parvenir à une perfection d'évidence qu'on appellera apodicticité.
Le critère de l'apodictiticité est autre chose que la simple certitude de l'être de la chose, c'est l'impossibilité pure et simple de penser son non-être.

§ 7 - L'évidence de l'existence du monde : elle est non apodictique ; elle est incluse dans le bouleversement opéré par Descartes

Qu'en est-il de l'existence du monde ? Apparemment, l'être du monde va de soi. Mais l'existence du monde n'est pas une évidence apodictique.
p.60
Cette évidence n'exclut pas le doute quant à l'existence effective du monde, la possibilité de son non-être. Il peut s'agir d'une illusion des sens ou d'un rêve cohérent.
p. 61
Dépassement de l'objectivisme spontané :
« …que se passerait-il si, en fin de compte, le monde n'était pas du tout la base absolument première du jugement, et si son existence présupposait déjà une base ontologique radicalement antérieure ? »

§8 - L'ego cogito comme subjectivité transcendantale

Nous nous trouvons dans la situation suivante : le monde n'est plus qu'une simple prétention à l'être ; l'existence intramondaine des autres je doit être elle-même mise en doute. Il n'est plus possible de dire « nous », ne subsiste plus que le je de l'expérience philosophique que nous sommes en train de faire.
pp.62, 63
S'abstenir de toute croyance quant à l'être du monde, cela ne revient pas à déclarer son inexistence. Simplement, il n'est plus, pour le je qu'un phénomène d'être.

« Le monde dont on a l'expérience dans le cadre de cette vie réflexive continue d'une certaine manière à exister pour moi, et j'en ai l'expérience comme auparavant, exactement avec le contenu qui, chaque fois, en est corollaire. Il continue de m'apparaître comme il m'apparaissait jusque-là, à ceci près que, puisque je réfléchis philosophiquement, je ne tiens plus pour valide la croyance naturelle à l'être, corrélative de l'expérience, ni n'accomplis cet acte de croyance, alors que, pourtant, cette croyance est toujours présente et qu'elle va de pair avec le regard attentif. » (p.63)
Cette abstention de toute croyance vis-à-vis du monde objectif porte le nom d'épochè phénoménologique ou mise entre parenthèses.
p.64
Ce qu'on appelle phénomènes au sens de la phénoménologie, c'est l'ensemble des visées, des vécus subjectifs.

« L'épochè est (…) la méthode radicale et universelle par laquelle je me saisis comme je pur, avec la vie pure de la conscience qui m'est propre, vie dans laquelle et par laquelle le monde objectif tout entier existe pour moi, tel qu'il est précisément pour moi. » (p.64)

Le monde tout entier pour moi est dans le cogito.
p.65
§ 9 - Portée de l'évidence apodictique du je suis

L'épochè nous conduit à la seule évidence apodictique : l'ego sum ou le sum cogitans, l'être de la subjectivité transcendantale.
Jusque-là, Husserl est d'accord avec Descartes, la démarche cartésienne et la démarche husserlienne se confondent.
« …même un je doute présuppose le je suis. » (p.65)
p.66
Reste à savoir quelle est la portée véritable de cette découverte.
« La certitude apodictique de l'expérience transcendantale concerne mon je suis transcendantal, dans la généralité indéterminée, qui lui est inhérente, d'un horizon ouvert. » (p.66)

§ 10 - Digression. Descartes ne parvient pas à opérer le tournant transcendantal

A partir de là, Husserl se sépare de Descartes.
Trois critiques fondamentales :
a) Descartes est loin dans ses Méditations de s'être affranchi de tous les préjugés scolastiques.
b) La pensée cartésienne est obérée par l'admiration que Descartes portait au modèle mathématique. Il a pensé, à partir du cogito, pouvoir établir une science déductive du monde.
c) Mais surtout, après avoir mis le monde entre parenthèses, il ne saisit pas le caractère transcendantal du cogito et le réintroduit dans le monde sous la forme d'une substantia cogitans.
pp.68, 69, 70
§ 11 – Le je psychologique et le je transcendantal. La transcendance du monde

Donc, le je du cogito n'est pas une partie du monde. C'est une position, un point de vue.
Il ne s'agit pas du je psychologique, du je dont s'occupent la biologie, l'anthropologie ou la psychologie. Le je psychologique est une vie psychique dans le monde.
« Par l'épochè phénoménologique, je réduis le je humain naturel qui est le mien, ainsi que ma vie psychique – domaine de ma propre expérience psychologique – à mon je phénoménologique transcendantal domaine de l'expérience phénoménologique transcendantale de soi. » (p.69)


CAFE-BABEL

Avertissement aux amateurs de copier-coller et aux gardiens de l'orthodoxie
Ce texte est un document de travail, pas un exposé magistral. Son contenu ne saurait faire autorité.
 

DEUXIEME MEDITATION

Dégagement du champ d'expérience transcendantal selon ses structures universelles
p.71
§ 12 - Idéal d'une fondation transcendantale de la connaissance

Nous avons établi la certitude apodictique de l'ego cogito.  Mais qu'allons-nous faire à partir de là ?
« La découverte cartésienne de l'ego transcendantal offre peut-être aussi un nouvel idéal de la fondation de la connaissance, celui d'une fondation transcendantale. »
C'est cette hypothèse qu'il s'agit de vérifier.
p.72
Il ne s'agira pas d'essayer, comme l'a fait Descartes, de déduire le monde à partir de cette certitude première.
On ne reviendra plus sur l'épochè phénoménologique, qui, rappelons-le, n'a pas coupé le réel en deux domaines, celui du monde et celui de la conscience, mais bel et bien défini ce que nous pouvons saisir du monde comme pur contenu de conscience.

De plus, la conscience elle-même, le je se présente à nous sous deux aspects : en tant que sujet - le cogito proprement dit - et en tant qu'objet de la conscience réflexive.
L'épochè a défini une sphère d'être d'un genre nouveau : l'expérience transcendantale.
Cette expérience transcendantale est possible du fait que l'épochè n'a pas seulement permis d'établir, d'isoler le cogito. Ce cogito, elle nous le présente comme étant toujours conscience de, visée de. Visée d'une réalité ou d'une illusion, rêve ou perception vraie, peu importe, la question n'est désormais plus celle-là.
Ce qui est visé, nous ne prétendrons plus le chercher « à l'extérieur », dans la « réalité ». Nous le saisirons uniquement en tant que cogitatum (pensé).
Bref, l'épochè a dégagé cette sphère d'expérience, que Husserl appelle expérience transcendantale. Nous laisserons le monde « réel » entre parenthèses et ne nous intéresserons plus qu'à deux choses :
- le contenu de notre conscience,
- la structure de cette conscience elle-même.

La question qui se pose tout de suite – mais nous ne la résoudrons que plus tard – est de savoir si une telle posture échappe au solipsisme. La Cinquième Méditation lèvera le doute sur ce point.

Pour l'immédiat, nous allons nous efforcer d'expliciter de façon systématique l'ego transcendantal, ou, ce qui revient au même, de dégager le champ de l'expérience transcendantale.
p.73
§ 13 - Nécessité de commencer par mettre hors circuit les problèmes touchant la portée d'une connaissance transcendantale

La tâche qui se présente à nous est la critique de l'auto-expérience transcendantale (critique au sens que ce mot a dans « Critique de la raison pure »).
Il s'agit d'une philosophie (science) nouvelle dont la constitution doit se faire en deux étapes :
a) Exploration du domaine (objet des Méditations) ;
b) Critique de l'expérience transcendantale proprement dite (au-delà des Méditations).

Esquisse de ce que serait cette nouvelle philosophie :
- Une science absolument subjective, une science dont l'objet est dans son être, indépendant de la décision sur le non-être ou l'être du monde.
- Cette science ne peut poser rien d'autre comme existant que l'ego et ce qu'il inclut. Elle n'a pas encore accès au « nous ».
- Elle doit donc commencer comme une égologie pure, dans le solipsisme.
p.75
Le dépassement du solipsisme est attendu mais pas encore affirmé :
« Il se peut que la réduction à l'ego transcendantal n'ait que l'apparence d'une science qui demeure solipsiste, tandis que sa réalisation cohérente et conforme à son sens propre conduit à une phénoménologie de l'intersubjectivité transcendantale, et, par son biais, au développement d'une philosophie transcendantale en général. »
p.76
Exploration du domaine de l'expérience transcendantale

§ 14 - Le flux des cogitationes. Cogito et cogitatum.

1. On commencera par distinguer un point de vue subjectif,  le je, l'ego proprement dit, et le cogitatum (le pensé), ou plutôt l'ensemble des cogitationes (pensées).
p.77
2. On remarquera que ces cogitationes forment un flux, le flux de la vie de la conscience dans laquelle vit le je (temporalité).

3. On évitera à tout prix de confondre cette approche du problème avec celle de la psychologie qui aborde la conscience elle-même comme un objet du monde.
p.78
4. Comme nous l'avons déjà dit, tout cogito vise quelque chose. Les vécus de conscience sont toujours intentionnels : le cogito porte en soi son cogitatum.

§ 15 - Réflexion naturelle et réflexion transcendantale

5. Il faut distinguer la saisie directe accomplie par la perception, le souvenir, la prédication, le jugement de valeur, l'assignation à une fin, etc., des réflexions par lesquelles nous accédons à ces acte. Dans la saisie directe, nous saisissons la maison et non pas encore la perception de celle-ci.

Pour savoir si nous avons compris, examinons ce paragraphe :
« Dans la réflexion naturelle de la vie quotidienne (…) nous sommes sur le terrain du monde préalablement donné comme existant, comme lorsque nous disons dans la vie quotidienne : « Je vois une maison là-bas » ou « Je me rappelle avoir entendu cette mélodie », etc. Dans la réflexion phénoménologique transcendantale, nous nous extrayons de ce terrain grâce à l'épochè universelle pratiquée à l'égard de l'existence ou de la non-existence du monde. Nous pouvons dire que l'expérience ainsi modifiée, l'expérience transcendantale, consiste alors en ce que nous considérons le cogito à chaque fois transcendantalement réduit et que nous le décrivons, mais sans opérer du même coup, en tant que sujet réfléchissant, une position naturelle d'existence qu'impliquent la perception accomplie d'abord directement ou tout autre cogito, et que le je qui vit directement plongé dans le monde avait effectivement opérée. » (pp.78-79)

5. C'est donc désormais la saisie de la perception, saisie indirecte de l'objet qui sera notre tâche. L'expérience réflexive du je est l'expérience de la perception de la maison, avec tous les moments qui étaient déjà le propre de cette perception et qui continuent à se développer. « La tâche de la réflexion n'est pas de répéter le vécu premier, mais de l'examiner et d'expliciter ce qui se trouve en lui. » (Construire son essence.)
p.79
Nous cherchons un savoir descriptif de l'expérience.

6. Remarquons que « la non-participation, l'abstention du moi qui adopte l'attitude phénoménologique, est son affaire (donc l'affaire du moi) et non pas celle de l'acte perceptif qu'il examine réflexivement. » (p.79) En d'autres termes, c'est au je, sujet de la réflexion phénoménologique de procéder à l'épochè, sans que cela ne change rien au contenu de nos perceptions.  Husserl confirme la scission déjà signalée entre le je qui vit dans le monde, spontanément intéressé au monde, et le je désintéressé du monde ou je phénoménologique.
p.80
7. Il s'agira de décrire les cogitationes telles qu'elles se donnent, et cette description se fera sur deux plans : le plan noématique, où l'on suit la cohérence de ce qui est visé par la conscience, et le plan noétique, qui concerne les modalités du cogito lui-même.
p.81
Nous sommes confrontés à deux questions en effet : Qu'est-ce qui fait que ce qui apparaît à l'examen de nos cogitationes forme un tout structuré ? Comment le cogito fonctionne-t-il lui-même comme une unité ?

Conclusion provisoire : l'épochè phénoménologique ne nous a pas fait perdre le monde. Celui-ci nous est conservé, mais uniquement par le biais du cogitatum, donc pas en tant que monde réel extérieur à la conscience.

8. Nos cogitationes ne visent pas simplement des objets isolés, comme la maison dont nous venons de parler. Tout objet intentionnel est situé dans un univers unitaire (le monde) « qui, même lorsque dans la saisie nous visons le singulier, nous apparaît toujours comme un ». (p.81) « L'ensemble du monde devient alors conscient sous la forme qui lui est propre de l'infinité spatio-temporelle. » (p.81)

9. Nous pouvons tenter une nouvelle définition plus précise de l'ego transcendantal : « L'ego transcendantal désigne dans l'universalité de sa vie une multiplicité ouverte et infinie de vécus singuliers concrets… » (p.82)
« Par conséquent, moi, le phénoménologue transcendantal, je n'ai pour thème de mes constants descriptifs universels (que ceux-ci visent le singulier ou des associations universelles) exclusivement des objets, pour autant qu'ils sont corrélats intentionnels des modalités de conscience qui leur correspondent. »

Remarque à propos du concept de corrélat
A partir de maintenant, Husserl va constamment jouer sur deux plans : la sphère de l'expérience transcendantale et celle du monde transcendant, désormais mis entre parenthèses.  L'analyse phénoménologique porte sur les contenus de conscience, mais ces derniers renvoient constamment à des objets de notre monde naturel. Ces derniers, qui, en tant qu'objets,  demeurent hors du champ de l'expérience transcendantale, sont désignés par Husserl comme les corrélats des contenus de conscience.

§ 16 - Digression. Nécessité, pour la réflexion purement psychologique comme pour la réflexion transcendantale, de commencer par l'ego cogito

« D'après ces développements, l'ego cogito transcendantal désigne dans l'universalité de sa vie une multiplicité ouverte et infinie de vécus singuliers concrets qu'il s'agit de dévoiler et de saisir descriptivement dans leurs structures variables. » (noèmes)

Mais si l'on cherche à montrer les modalités de leur liaison, on va jusqu'à l'unité de l'ego concret lui-même. Une vie intentionnelle structurée par un lien unitaire (noèse).
p.83
Nouvelle définition de notre tâche : « Moi, le phénoménologue qui médite, je m'assigne la tâche universelle du dévoilement de moi-même en tant qu'ego transcendantal dans toute ma nature concrète (plan noétique), donc en même temps du développement des corrélats intentionnels qui y sont inclus (plan noématique).
p.84
« Ce qui est premier et universel, dans la description, c'est la scission entre cogito et cogitatum qua cogitatum (pensé en tant que pensé). » (p.84)

§ 17 – En tant que problématique de la corrélation, l'investigation de la conscience offre un double aspect. Orientation de la description. La synthèse comme forme originelle de la conscience
p.85
Exemple de la description d'un cube
La notion de synthèse.
« Ce cube-là est donné de manière continue comme l'unité d'un objet dans une diversité multiforme et variable des modalités d'apparition qui lui sont propres de manière précise. »

Nous constatons deux types d'unité :
a) Unité d'une synthèse d'abord, par laquelle « c'est d'un seul et même objet apparaissant que l'on prend conscience ».
« Le cube, un et identique, se révèle tantôt dans des apparitions de proximité, tantôt dans des apparitions d'éloignement, selon les modes changeants du et du là-bas par opposition à un ici absolu (situé dans le corps propre qui apparaît en même temps) qui, bien qu'on n'y prenne garde, accompagne constamment toute conscience. »
Chaque caractère apparaît comme unité de diversités qui s'écoulent.

b) Unité du cogito ensuite, dont il sera question plus tard.
p.86
« Ainsi, chaque cogito a conscience de son cogitatum, non pas dans un vide indifférencié, mais dans une structure descriptive de diversités dont l'organisation noético-noématique est bien déterminée, et qui justement appartient par essence à ce même cogitatum. » (p.86)

§ 18 – L'identification en tant que forme fondamentale de la synthèse. La synthèse universelle du temps transcendantal
p.87
La notion de temporalité
La forme fondamentale de la synthèse est l'identification (le fait de ramener un ensemble de données à un objet unique).
L'identification suit passivement son cours sous la forme de la conscience interne continue du temps.
« Tout vécu possède sa temporalité propre de vécu. »
Il faut distinguer la temporalité objective qui apparaît (propre au cube lui-même), de la temporalité interne de l'apparaître.

La notion d'unité
Ce qui fait que des apparitions continuellement changeantes sont des apparitions d'un seul et même cube : un et identique.
L'unité « est l'unité d'une synthèse, non pas une liaison continue de cogitationes (comme accolées les unes aux autres) mais liaison en une seule conscience dans laquelle  se constitue l'unité d'une objectivité intentionnelle en tant qu'identité d'une multiplicité de modalités d'apparitions. »
Le cube est présent dans la conscience comme un sens objectif immanent.
« L'objet de la conscience qui garde son identité durant le flux des vécus ne lui vient pas du dehors, mais se trouve inclus dans la conscience même comme sens, c'est-à-dire comme résultat intentionnel de la synthèse de la conscience. » (p.88)
p.88
Unité en dépit de modalités de conscience distinctes
Le même cube peut être conscient, simultanément ou successivement dans des modalités de consciences distinctes et diverses : perception, ressouvenir, attente, évaluation, etc.
C'est toujours une synthèse qui produit la conscience de l'identité.
L'ensemble de la vie de la conscience est synthétiquement unifiée.

« Tout vécu singulier concevable ne fait que se détacher sur le fond d'une conscience globale dont l'unité est toujours présupposée. »
p.89
- La forme fondamentale de la synthèse universelle est la conscience du temps, conscience interne qui englobe tout.
- Le corrélat de cette conscience du temps est la temporalité immanente : tous les vécus de l'ego se présentent comme ordonnés dans le temps.
- Husserl distingue donc la conscience du temps du temps lui-même : celui-ci est le temps du vécu intratemporel, celle-là ses modalités d'apparition, elles-mêmes données comme des temporalités.

L'élucidation et la compréhension de ce fait réservent des difficultés extraordinaires, qui ne seront pas abordées dans cet ouvrage.

§ 19 – Actualité et potentialité de la vie intentionnelle

La question de l'intentionnalité inhérente à tout cogito n'est pas épuisée par la seule considération des cogitata.
- Toute actualité implique ses propres potentialités.
p.90
Les notions d'horizon et de protension
« Tout vécu possède un horizon qui varie selon les modifications du contexte de sa conscience et selon les variations des phases propres de son flux. »
Aucun vécu n'épuise le sens d'un objet. Ce sens est une potentialité de l'intentionnalité, il apparaît comme un horizon, une limite vers laquelle tend la visée intentionnelle.
En d'autres termes, cet horizon signale la différence de ce qui est visé effectivement et ce qui va ou peut l'être.
« Ce qui caractérise chaque perception externe, c'est qu'elle opère un renvoi des côtés véritablement perçus de l'objet de la perception aux côtés qui sont visés corrélativement sans être encore perçus et qui sont seulement anticipés sur le mode de l'attente, et d'abord dans une vacuité de l'intuition, en tant qu'ils sont alors  à venir du point de vue de la perception. » (p.90)
Ce mouvement de la visée est appelé protension.
p.91
Il s'ensuit que le sens du cogitatum peut jamais être représenté comme un donné achevé.
Il ne s'éclaire que par l'explicitation de l'horizon et des horizons sans cesse à nouveau convoqués.
Chaque détermination laisse d'autres particularités dans le flou.
L'esquisse de sens objectif est toujours imparfaite, mais dans son indétermination, elle possède une structure déterminée.
« Cette indétermination, antérieure aux déterminations effectives plus précises qui ne suivront peut-être jamais, est un élément inclus dans la conscience correspondante elle-même, et c'est justement ce qui constiue l'horizon. »
On parlera d'intentionnalité d'horizon :
« L'objet est pour ainsi dire un pôle d'identité, sans cesse conscient avec un sens prévisé qui est à réaliser. »

§ 20 – La spécificité de l'analyse intentionnelle
p.92
L'analyse de la conscience en tant qu'intentionnelle.
Sa fonction est de dévoiler des potentialités impliquées dans les actualités de la conscience, dévoilement qui permet, du point de vue noématique, qu'aient lieu l'explicitation, l'élucidation et,le cas échéant, la clarification de ce qui est visé de manière présomptive par la conscience, la clarification de son sens objectif.
« L'analyse intentionnelle est guidée par le savoir fondamental que tout cogito est, en tant que conscience, et, au sens le plus large, visée de son objet, mais que cet objet visé de manière présomptive est, à chaque instant, plus (il est visé de manière présomptive avec un plus) que ce qui est explicitement visé à chaque instant. » (p. 92)
De manière présomptive :
En présumant son existence effective.
La visée de toute conscience est donc caractérisée par un dépassement qui doit être considéré comme un moment essentiel de celle-ci. On parlera de survisée.
p.93
On n'a pas affaire à une somme de visées, mais, chaque fois à la visée intentionnelle d'un objet.
On ne peut faire l'impasse sur les multiplicités noétiques de la conscience et leur unité synthétique, sur les fonctions constitutives par lesquelles nous pouvons procéder à cette visée, sur la structure intentionnelle qui est chaque fois celle de la conscience, qui fait que quelque chose comme un objet devienne conscient.
p.94
L'analyse intentionnelle inclut non seulement les vécus actuels, mais encore les vécus potentiels impliqués, prétracés, dans l'intentionnalité productive de sens des vécus actuels.

« C'est uniquement de cette manière que le phénoménologue peut parvenir à comprendre comment, dans l'immanence de la vie de la conscience et dans les modalités déterminées de ce flux ininterrompu de conscience, quelque chose comme des unités objectives fixes et permanentes peuvent devenir conscientes, et, en particulier, comment se réalise cette remarquable fonction de la constitution d'objets identiques pour chaque catégorie d'objets… » (p.94)
L'analyse intentionnelle cherche à dire quelle forme prend et doit prendre l'activité constituante de la conscience selon les variations noétiques et noématiques corrélatives du même objet.
p.95
Une phénoménologie pure de la conscience est-elle possible ?
Elle semble problématique :
- Le domaine des phénomènes de conscience est le flux héraclitéen ;
- On ne peut en aucun cas déterminer un objet de conscience comme un objet de nature ;
- On ne peut les saisir dans des concepts fixes.

La synthèse intentionnelle est un flux, qui procure à toute conscience son unité et constitue l'unité du sens de ce qui est objet. On peut néanmoins saisir ce flux avec rigueur.
p.96
§ 21 - L ‘objet intentionnel comme « fil conducteur transcendantal »

Situé du côté du cogitatum, l'objet intentionnel joue le rôle de fil conducteur transcendantal pour la découverte de la multiplicité typique de cogitationes qui, en une synthèse possible, le portent en elles comme l'objet identique que vise la conscience.
p.97
« Si l'on fixe un objet quelconque dans sa forme ou sa catégorie, et si l'on maintient constamment en évidence l'identité de cet objet, à travers la variation de ses modalités de conscience, il apparaît que, aussi fluctuantes qu'elles puissent être et aussi insaisissables que soient leurs éléments derniers, ces modalités de conscience ne sont cependant nullement arbitraires. » (p.97)
Ces modalités sont liées à une typique structurelle qui reste la même tant que l'identité de l'objet est maintenue, en dépit de la variation des modalités de conscience.
De là peut découler une théorie de la constitution transcendantale de l'objet en général.
p.98
Diverses théories transcendantales (de la perception et des autres types d'intuition, de la signification, du jugement, de la volonté) peuvent se constituer et fusionner en une seule théorie constitutive, formelle et générale, d'un objet en général.

Et finalement, « si nous prenons le monde objectif et un comme fil conducteur transcendantal, il renvoie alors à la synthèse des perceptions objectives traversant l'unité de la vie tout entière, ainsi, en outre, qu'à celle des intuitions objectives, synthèse grâce à quoi le monde, sans cesse, est présent, en tant qu'unité, à la conscience, et peut devenir thématique. » (p.98)
p.99
Conclusions :
- Le monde est une problématique universelle d'ordre égologique.
- Il en va de même pour l'ensemble de la vie consciente dans sa temporalité immanente.

§ 22 - L ‘idée de l'unité universelle de tous les objets et la tâche de leur élucidation constitutive.

Les multiplicités de la conscience qui sont constituantes ne sont pas arbitraires.

La subjectivité transcendantale n'est ni un chaos de vécus intentionnels, ni un chaos de types constitutifs.

« Tout objet en général (et aussi tout objet immanent) définit une structure réglant le je transcendantal. »

« En tant qu'il est ce qui est représenté par le je, et qu'il est toujours conscient, l'objet définit aussitôt une règle universelle pour une autre conscience possible de lui-même, possible selon une typique prétracée en fonction de l'essence ; et il en est naturellement ainsi pour tout objet concevable, pour tout ce que nous pouvons nous représenter comme pensable. »
p.100
On peut entrevoir une synthèse constitutive universelle.
Cette synthèse embrasserait  tous les objets effectifs et possibles en tant que tels pour l'ego transcendantal, et, corrélativement toutes leurs modalités de conscience effectives et possibles.


CAFE-BABEL

Avertissement aux amateurs de copier-coller et aux gardiens de l'orthodoxie
Ce texte est un document de travail, pas un exposé magistral. Son contenu ne saurait faire autorité.
 

TROISIEME MEDITATION
La problématique de la constitution
Vérité et réalité effective

§ 23 – Un concept plus précis de la constitution transcendantale sous les rubriques « raison » et « déraison »

Notre tâche, jusqu'ici a été la constitution d'un objet intentionnel en général.
Elle embrassait l'expression cogito-cogitatum dans toute son extension.

- Nous allons différencier structurellement cette extension et produire un concept plus précis de la constitution.
- Nous allons prendre en considération la distinction entre objet existant et non existant, possible ou impossible.
- L'épochè est une réduction à la visée pure (cogito) et à ce qui est visé uniquement en tant qu'il est visé. C'est à ce dernier (ce qui est visé), et non purement et simplement à des objets, que se réfèrent les prédicats d'être et de non-être, ainsi que leurs variations modales ; … » (p.101)
- Donc, les prédicats de vérité et de fausseté se rapportent à chaque visée.
p.102
- On parlera de synthèse confirmative ou infirmative.
- L'objet visé possède alors le caractère évident d'étant ou de non-étant.
Ces cas de synthèses sont des intentionnalités de niveau supérieur.
- Il s'agit d'actes de la raison.
- La raison est la forme structurale essentielle et universelle de la subjectivité transcendantale en général.
La raison renvoie aux possibilités de la vérification, au fait de rendre évident

§ 24 – L'évidence comme autodonation et ses variations

L'évidence

p.103
Un mode bien distinct de conscience : auto-apparition, autoprésentation, autodonation d'une chose, d'un état de chose, d'une généralité, d'une valeur, etc., selon le mode ultime du fait d'être présent soi-même, immédiatement intuitionné, donné originaliter.
- Le je ne vise plus confusément quelque chose à travers une prévisée vide, mais intuitionne la chose elle-même. C'est en quelque sorte l'horizon atteint.
- En tant que possibilité ou but, l'évidence est une caractéristique fondamentale de la vie intentionnelle en général.
- En particulier, elle est le but vers lequel tend l'intention pour tout ce qui est visé ou doit l'être.
- Toute conscience vague peut être interrogée dans l'attitude de la réduction transcendantale, pour savoir si l'objet visé lui correspond sous le mode du « lui-même » (évidence), ou peut lui correspondre.
- Le processus de la vérification peut évoluer vers la négative. Le non-être n'est qu'une modalité de l'être pur et simple.
- L'évidence peut être rapportée aux concepts d'être ou de non-être, et à d'autres variations modales de l'être pur et simple : être possible, être probable, être douteux, être valide, être bon.
p.104
§ 25 - Réalité effective et quasi-réalité effective

- La différence entre la réalité effective et la réalité « comme si » (imagination) parcourt tout le domaine de la conscience et, corrélativement, toutes les modalités d'être.
On parlera :
- de différents modes d'irréalité : possibilité, concevabilité (comme si) ;
- de scission entre modes de conscience de la positionnalité et ceux de la quasi-positionnalité (comme si, imaginer).
- Elucider, éclairer, c'est toujours une modalité du fait de rendre évident.
- L'évidence ne porte pas seulement sur l'être, mais aussi sur la possibilité d'être.
p.105
§ 26 - La réalité effective comme corrélat de la vérification évidente.

Vont ensemble les problèmes formels et généraux de l'analyse intentionnelle et les recherches touchant à l'origine phénoménologique des principes et des concepts fondamentaux formels et logiques.
« Ces concepts sont l'indice que la vie de la conscience en général obéit structurellement à une loi grâce à laquelle seules la vérité et la réalité effective ont un sens pour nous et peuvent en avoir un. » (p.105)
Le fait qu'un objet existe pour moi n'implique rien quant à l'évidence. Ils ont seulement une validité pour moi. Cogitata conscients. La vérité ou la vraie réalité effective des objets ne peut être tirée que de l'évidence.
« Toute légitimité vient (…) de notre subjectivité transcendantale même ; toute adéquation concevable a pour source notre vérification, elle est la synthèse que nous opérons et trouve en nous son fondement transcendantal ultime. »
p.106
§ 27 -  Evidence habituelle et évidence potentielle dans leur rôle constitutif du sens d'un « objet étant ».

Chaque évidence fonde pour moi un acquis durable. Un retour à la réalité effective vue elle-même est toujours possible par des restitutions de cette première évidence.
- Sans cela, il n'y aurait pas d'être stable et durable.
- Le caractère « en soi » de l'étant se définit par rapport au « pour moi » des actes isolés. Il ne saurait donc y avoir d'être durable à partir d'une évidence isolée. L'étant « en soi » résulte d'évidences susceptibles d'être répétées à l'infini en tant que faits vécus (évidences potentielles).
p.107
§ 28 -  L'évidence présumptive de l'expérience du monde. Le monde comme idée corrélative d'une évidence parfaite de l'expérience

La question du monde réel objectif donné comme un tout.
- Celui-ci nous est livré de façon unilatérale, à travers des objets isolés quelconques.
- C'est que Husserl appelle l'expérience extérieure. On n'accède pas autrement à cette sorte d'objets.
- Il s'agira toujours de l'évidence unilatérale, partielle, d'un objet transcendant.
- Il reste par ailleurs toujours possible que ce qui apparaît sous le mode du soi-même n'existe finalement pas, ou soit différent.
- Un horizon multiforme d'anticipations non comblées.
p.108
- La vie de la conscience porte en soi le sens monde, le monde en tant que conscience du monde.
- La transcendance du monde est indissociable de la subjectivité transcendantale constitutrice du sens et de l'effectivité de l'être.
« … tout objet effectif d'un monde, et plus encore le monde lui-même, est une idée infinie liée aux infinités des expériences qui sont à unifier de manière concordante, une idée corrélative à l'idée d'une évidence empirique totale, d'une synthèse complète d'expériences possibles. » (p.108)

§ 29 - Les régions ontologiques matérielles et formelles en tant qu'indices de systèmes transcendantaux d'évidences

Au sein des multiplicités infinies des cogitationes se rapportant à tel objet, il convient d'établir une séparation structurelle isolant un système particulier, celui des évidences qui se rapportent à cet objet.
p.109
- Liées entre elles de manière synthétique, elles fusionnent en une évidence totale et sans doute inachevée.
- « Ce serait une évidence absolument achevée qui donnerait finalement l'objet lui-même, tel qu'il est dans tous ses aspects… » (p.109)
- Il ne s'agit pas d'établir effectivement cette évidence, mais de dégager clairement la structure essentielle de l'objet.
- Notre tâche sera la constitution transcendantale de l'objectité existante en un sens précis du terme.
a) Recherches formelles générales (concept formel et logique de l'objet) ;
b) Théorie constitutive de la nature physique (les régions subsumées par l'expression de monde objectif), nature « donnée » comme toujours existante, présupposée ;
c) Théorie de l'homme, de la culture, de la communauté humaine.
p.110
« L'élaboration intentionnelle des évidences constituantes dans leur unité synthétique se révèle particulièrement compliquée eu égard aux objets ; par exemple fonder par niveaux des objets non objectifs (uniquement subjectifs) en partant du fond objectif le plus profond. » (p.110)


CAFE-BABEL

Avertissement aux amateurs de copier-coller et aux gardiens de l'orthodoxie
Ce texte est un document de travail, pas un exposé magistral. Son contenu ne saurait faire autorité.
 

QUATRIEME MEDITATION
Déploiement des problèmes constitutifs de l'ego transcendantal lui-même


§ 30 L'ego transcendantal inséparable de ses vécus


Montrer ce qui constitue concrètement cet être-pour-moi et cet être-tel, à savoir quel type de conscience effective et possible est en question.

Chercher l'essence de l'intentionnalité et de ses horizons.

Acquis : l'ego transcendantal n'est ce qu'il est qu'en rapport à des objectités intentionnelles.
p.112
Une propriété essentielle pour l'ego : avoir toujours des systèmes d'intentionnalité et aussi des systèmes intentionnels de concordance qui, pour une part, se déroulent en lui, pour une autre sont à sa disposition pour être dévoilés grâce aux horizons prétracés et comme potentialités établies.
« Quel qu'il soit, l'objet que l'ego vise, pense, évalue, traite, mais aussi imagine ou peut imaginer, indique, à titre de corrélat, son système (d'intentionnalité ou/et de concordance), et il n'est pas autre chose que ce corrélat. »
p.113
§ 31 -  Le je comme pôle identique des vécus

Pour lui-même, l'ego existe d'une manière continûment évidente. Il « se constitue en lui-même continuellement comme existant ».

L'ego ne se saisit pas lui-même simplement comme vie en flux (le flux héraclitéen des vécus de conscience), mais comme le je qui vit ceci ou cela.

Nous avons fait apparaître une première polarisation : relation intentionnelle de la conscience et de l'objet, du cogito et du cogitatum. Nous avons fait apparaître cette synthèse qui polarise les multiplicités de la conscience effective et possible en fonction d'objets identiques. Objets comme unités synthétiques.

Apparition d'une deuxième polarisation : synthèse d'une deuxième espèce. Celle du je identique.

§ 32 - Le je comme substrat des habitus

Il faut parler de genèse transcendantale du je.
- Celui-ci acquiert un nouveau sens objectif, une nouvelle propriété permanente avec chacun des actes qui émanent de lui. Je reste celui qui s'est décidé de telle ou telle manière. Je me décide, l'acte vécu s'écoule, mais la décision persiste, je reste solidaire de mon action.
p.114
Je peux ultérieurement y revenir, m'en souvenir.
« En se constituant par une genèse active propre comme le substrat identique des propriétés permanentes du je (habitus), le je se constitue aussi ultérieurement comme moi personnel qui se tient et se maintient. » (p.114)
p.115
§ 33 -  La pleine concrétion du je comme monade et le problème de son autoconstitution

Du moi comme pôle identique et comme substrat des habitus, nous distinguons l'ego pris dans sa pleine concrétion (le moi concret, donc). Le moi n'est concret que dans la diversité du flux de sa vie intentionnelle et des objets qui sont visés en elle. Cet ego,  nous le désignerons du terme de monade.

En tant qu'ego :
- j'ai un monde environnant qui existe constamment pour moi.
- Mon activité est de poser et d'expliciter l'être.
p.116
« Puisque l'ego monadique concret englobe en sa totalité la vie effective et potentielle de la conscience, il est clair que le problème de l'explicitation phénoménologique de cet ego monadique (le problème de sa constitution pour lui-même) doit englober en lui-même  tous les problèmes constitutifs en général. Il en résultera par la suite que la phénoménologie de cette autoconstitution coïncidera avec la phénoménologie en général. » (p.116)

§ 34 - Principe de l'élaboration de la méthode phénoménologique. L'analyse transcendantale comme analyse eidétique

Les développement qui précèdent nous ont introduit à la problématique de la genèse phénoménologique. (Le sens de ce concept ne sera pas donné tout de suite.)
Mais auparavant, donnons-nous les moyens de passer de la description purement empirique (même si celle-ci est menée au sein de la sphère de l'expérience transcendantale) des phénomènes, à la méthode de description eidétique.

Les descriptions (jusqu'ici empiriques) doivent passer dans une dimension nouvelle, celle de l'ordre des principes.
p.117
Au cours des descriptions, se sont imposées certaines expressions comme nécessité d'essence, conformément à l'essence. Ces expressions nous conduisent à un concept défini de l'a priori au sens de la phénoménologie.
- Prenons un type quelconque de vécu intentionnel (perception, rétention, ressouvenir, énoncé, plaisir, etc.).
- Jusqu'à présent, nous avons pris ce type de vécu comme un type d'événement factuel de l'ego transcendantal. Les descriptions transcendantales devaient avoir une signification empirique.

Partons de l'exemple de la perception.
- Varions la perception de cet objet table librement, tout en maintenant la perception comme perception de quelque chose.
- Modifions fictivement sa forme, sa couleur, mais maintenons l'identité d'un apparaître de type perceptif.
p.118
- Nous passons du domaine de la perception effective à celui des irréalités, du comme si.
- De cette manière, nous envisageons la perception non pas en tant que fait, mais comme une pure possibilité parmi d'autres pures possibilités tout à fait arbitraires, détachées des faits.
- Nous atteignons ainsi le type général de perception, qui flotte en l'air.
« Ainsi soustrait à toute facticité, il est devenu l'eidos (forme) de la perception dont l'extension idéale est constituée par toutes les perceptions idéalement possibles en tant que pures inventions. »
Les analyses de perceptions sont donc des analyses d'essences.
- Ce que nous avons dit auparavant à propos des synthèses, des horizons de possibilité vaut pour toute perception concevable, selon une universalité d'essence.
- L'eidos est un universel vu ou visible, un universel pur, inconditionné (conditionné par aucun fait).
p.119
- Tout type singulier est extrait de son milieu, celui de l'ego transcendantal empirique de fait, pour être transposé dans la pure sphère de l'essence.
- Les horizons intentionnels eux-mêmes, sans disparaître, deviennent eidétiques.
- Ce qui nous permet de passer de l'ego de fait (concret) à un eidos ego. Lequel est la pure modification de la possibilité de mon ego de fait.
- Nous pouvons dès lors envisager la recherche de l'essence de la constitution explicite d'un ego transcendantal.

« Si donc nous imaginons une phénoménologie élaborée exclusivement d'après la méthode éidétique comme une science intuitive a priori, alors toutes ses investigations d'essence ne sont rien d'autre que les dévoilements de l'eidos universel de l'ego transcendantal en général qui inclut en lui toutes les pures modifications de possibilité de mon ego de fait, et celui-ci lui-même à titre de possibilité. » (p.119)

- La phénoménologie recherche les lois universelles de l'essence qui dessinent à l'avance, pour tout énoncé de fait sur le transcendantal, son sens possible (avec son opposé, le contresens).
p.120
- Il importe maintenant d'élaborer une phénoménologie purement éidétique. En elle seule peut s'accomplir la première réalisation d'une science philosophique.

Remarque importante
A ce stade, je n'ai recours aux principes apodictiques propres à l'ego que pour autant qu'il est un ego en général. L'espace de l'eidos ego est déterminé uniquement par l'autovariation de mon ego. Je m'imagine comme si j'étais un autre, je n'imagine pas autrui.

Notre acquis :
a) la réduction phénoménologique ;
b) l'intuition eidétique comme forme fondamentale de toutes les méthodes transcendantales particulières.

§35. Excursus dans la psychologie interne éidétique

Notion d'une psychologie intentionnelle pure qui puise uniquement dans l'expérience interne.
p.121
Dans ce cadre, le moi humain correspond à l'ego transcendantal concret.

§36. L'ego transcendantal comme domaine universel des formes possibles de vécu. Lois essentielles de régulation de la compossibilité des vécus selon la coexistence et la succession

Nous nous tiendrons désormais dans le cadre d'une phénoménologie purement eidétique « au sein de laquelle le fait de l'ego transcendantal et des données particulières de son empire transcendantal n'a que le sens d'exemples de possibilités pures ». (p.121)
- Nous nous tenons maintenant dans le cadre d'une phénoménologie purement éidétique, et nous allons analyser de manière systématique l'ego concret en général selon ses composantes essentielles.
p.122
- L'a priori universel appartenant à un ego transcendantal renferme une infinité de types a priori d'actualités possibles.
- Mais tous les types ne sont pas compossibles et ceux qui sont possibles ne le sont ni dans n'importe quel ordre ni n'importe quand dans la temporalité de l'ego.
- L'élaboration d'une théorie scientifique n'est possible que dans un ego rationnel.
- Il faut admettre une structure universelle a priori des légalités essentielles universelles de la coexistence et de la succession égologique temporelle.

« En effet, quoi qu'il puisse apparaître dans mon ego, et, eidétiquement dans un ego en général (…), tout cela possède une temporalité propre, et participe, à cet égard, au système des formes de la temporalité universelle avec lequel se constitue pour lui-même tout ego concevable. »
p.123
§37. Le temps comme forme universelle de toute genèse égologique

Les lois d'essence propres à la compossibilité sont au sens le plus large des lois de la causalité (si…, alors). Mais, dans la sphère transcendantale, nous parlerons de motivation (à ne pas comprendre dans le sens courant de motivation au travail !).
- « L'univers des vécus, qui constituent le réel contenu d'être de l'ego transcendantal,  n'est un univers compossible que dans l'universelle forme unitaire du flux. » (p.123)
- C'est une forme de motivation qui articule tout, qui règne en chaque singularité.
- Passé, présent et avenir se reconstituent sans cesse unitairement en une certaine structure formelle noético-noématique des modes fluants de donation.
- « Mais, au sein de cette forme, la vie se déroule comme le cours motivé de constitutions particulières accompagnées de motivations et de systèmes de motivation particuliers et multiples qui, selon les lois générales de la genèse, produisent une unité de la genèse universelle de l'ego. » (p.123)
- L'ego se constitue pour lui-même dans l'unité d'une histoire.
p.124
- Les systèmes constitutifs, grâce auxquels existent pour l'ego tels et tels objets, telles et telles catégories d'objets, ne sont eux-mêmes possibles que dans le cadre d'une genèse obéissant à des lois.
- Ces systèmes sont liés par la forme génétique universelle qui rend possible l'ego concret (la monade) en tant qu'unité.
« Le fait qu'une nature, un monde culturel, un monde humain, avec ses formes sociales, etc., existent pour moi signifie que des possibilités d'expériences correspondantes subsistent pour moi. » (p.124)
p.125
§38. Genèse active et passive

Deux formes fondamentales de la genèse constitutive : genèse active, genèse passive.
- Dans la genèse active, le je fonctionne comme un je constituant de manière productive.
p.126
- La sythèse active présuppose une passivité prédonnée.
- Et nous tombons sur la constitution par synthèse passive.
- La synthèse de l'expérience passive fournit tout ce qui se présente à nous comme une simple chose existante ; elle ne cesse jamais.
p.127
- La synthèse passive procure toute leur matière aux activités intellectuelles déclenchées par la saisie active.
« C'est du fait d'une genèse conforme à l'essence que moi, l'ego, je peux dès le premier regard avoir l'expérience d'une chose. »
p.128
Grâce à la synthèse passive, le je se trouve sans discontinuer dans un environnement d'objets.
Donc, tout ce qui m'affecte comme ego développé est aperçu comme objet, comme substrats de prédicats à connaître.
Tout ce qui est connu renvoie à un apprentissage originaire.
Ce que nous appelons inconnu a toujours la forme structurelle de ce qui est connu.

§ 39. L'association comme principe de la genèse passive

L'association est le principe de la genèse passive gouvernant la constitution de toutes les objectivités finalment prédonnées aux formations actives.
- L'association est une manière de désigner l'intentionnalité.
p.129
- Le concept traditionnel d'association n'est qu'une distorsion naturaliste du véritable concept intentionnel. Nous en donnerons donc une définition nouvelle.
- Elle n'est pas une normativité empirique selon laquelle se combinent les données d'une âme (une sorte de gravitation intrapsychique).
- Elle est une rubrique très vaste désignant une normativité intentionnelle essentielle de la constitution de l'ego pur, un domaine a priori inné.
- Sans l'association, un ego serait inconcevable.
- L'ego doit être compris comme une connexion infinie.
- La temporalité (et donc l'ego) s'édifie elle-même dans une genèse passive constante qui, par essence, embrasse tout ce qui est nouveau.
-  Une édification par degrés a lieu, qui se maintient dans l'ego développé comme un système persistant des objectivités constituées, et qui forme un univers de structure ontologique stable.
L'association est un concept transcendantal et phénoménologique fondamental.
p.130
§ 40. Passage à la question de l'idéalisme transcendantal

Une fois que la problématique phénoménologique a été réduite aux objectivités de la conscience possible, la phénoménologie elle-même peut se caractériser comme une théorie transcendantale de la connaissance.
- Nous opposerons la théorie de la connaissance transcendantale ainsi comprise à la théorie de la connaissance traditionnelle.
- Le problème que nous rencontrons alors est celui de la transcendance, car il ne s'agit pas ici d'une simple psychologie de la connaissance.

« Je me rencontre comme un homme situé dans le monde, et qui, en même temps, en fait l'expérience, en a une connaissance scientifique, y compris de moi-même qui en fais partie. Je me dis alors que tout ce qui est pour moi, l'est grâce à ma conscience connaissante, c'est pour moi ce qu'a expérimenté mon expérience, ce qu'a pensé ma pensée, ce qu'a théorisé ma théorisation, ce qu'a vu mon regard. » (p.130)

- L'intentionnalité désigne une propriété réelle.
p.131
- Mais dès lors, toute fondation, toute démonstration de la vérité et de l'être se déroulent entièrement en moi.
D'où le problème suivant :
On comprend que dans mon domaine de conscience, j'en arrive à des certitudes. « Mais comment tout ce jeu, qui se déroule dans l'immanence de la vie de la conscience, peut-il acquérir une signification objective ? »
Comment l'évidence peut-elle prétendre être plus qu'une caractéristique de la conscience en moi ?
Descartes a tenté de résoudre ce problème en faisant appel à la veracitas divine.

§ 41 La vraie auto-explication phénoménologique de l' ego cogito  comme idéalisme transcendantal
p.132
Toute cette question est absurde, déclare Husserl.
Descartes n'a pas vu le sens véritable de son épochè transcendantale.
Quel est ce je qui peut légitimement poser de telles questions transcendantales ?
- dès que j'ai une aperception de moi-même en tant qu'homme naturel, j'ai déjà une aperception préalable du monde spatial, je me suis saisi moi-même comme étant dans l'espace, où je suis donc doté d'une extériorité à moi-même. Il n'y a donc pas à chercher ailleurs ce qui est donné ici au départ.
- La validité de l'aperception du monde est déjà présupposée dans la position de la question.
- La transcendance, sous quelque forme que ce soit, est un caractère d'être immanent qui se constitue au sein de l'ego.
- Tout ce qui existe pour la conscience se constitue dans la conscience.
- « Tout sens concevable, tout être concevable, qu'on les dise immanents ou transcendants, relèvent du domaine de la subjectivité transcendantale en tant qu'elle est ce qui constitue le sens et l'être. C'est un non-sens que de vouloir saisir l'univers de l'être vrai comme quelque chose qui se trouve en dehors de l'univers de la conscience possible, de la connaissance possible, de l'évidence possible… » (p.132)
Donc, le problème se déplace. Il n'est plus celui de la transcendance du « réel », mais celui de la possibilité pour des sujets différents de reconnaître qu'ils partagent un monde commun, probème qui sera traité dans la Cinquième Méditation.
Et l'on entrevoit le sens de la réflexion de Heidegger sur l'oubli de l'être, qui est comme une désertion, un désinvestissement du monde.
p.133
Si la subjectivité transcendantale est l'univers du sens possible, quelque chose d'extérieur à elle est un non-sens.

Mais même un non-sens, quel qu'il soit, est un mode du sens. Il est intelligible (en tant que non-sens).

Transition vers la Cinquième Méditation
- Nous établirons qu'en moi, ego transcendantal, sont transcendantalement constitués d'autres ego.
- Un monde objectif commun à tous sera constitué à partir de l'intersubjectivité transcendantale constitutivement isue de moi.

Une véritable théorie de la connaissance n'a de sens que si elle est transcendantale et phénoménologique.
«Au lieu d'avoir affaire à des raisonnements absurdes qui concluent d'une immanence présumée à une transcendance présumée, celle de quelconques « choses en soi » prétendument inconnaissables en principe, elle s'attache exclusivement à expliquer de manière systématique la fonction de la connaissance, explication qui doit la rendre intelligible de part en part comme fonction intentionnelle » (p. 133)
- Toute espèce d'étant devient intelligible comme formation de la subjectivité transcendantale, formation qui est constituée au sein de l'intentionnalité.
p.134
Définition d'une phénoménologie universelle
« C'est, premièrement, une auto-explication au sens précis du terme, qui montre d'une façon systématique comment l'ego se constitue lui-même comme étant en soi et pour soi selon une essence qui lui est propre ; deuxièmement, c'est une auto-explication au sens large du terme qui, à partir de là, montre comment l'ego, en vertu de cette essence propre, constitue en lui-même aussi quelque chose d'autre, d'objectif, et de même, en général, tout ce qui, dans le je, aura jamais, en tant que non-je, valeur d'être pour lui. »

La phénoménologie est idéalisme transcendantal.
Oui, mais dans quel sens ?
- Il ne s'agit pas d'un idéalisme psychologique, qui à partir de données sensibles privées de sens veut déduire un monde plein de sens.
- Pas un idéalisme kantien qui croit pouvoir laisser ouverte la possibilité d'un monde de choses en soi.
Mais une science égologique systématique, l'auto-explication de mon ego comme sujet de toute connaissance possible.

- L'explicitation du sens de chaque étant concevable par moi, l'ego, c'est exactement la même chose que le dévoilement systématique de l'intentionnalité constituante elle-même.
p.135
L'unique interprétation possible du sens de l'univers.
p.136
Les autres
Par le biais des constitutions étrangères constituées dans mon propre moi, se constitue pour moi le monde qui nous est commun à nous tous.



CAFE-BABEL

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | Page suivante >>

Créer un podcast