-115-
Théorie transcendantale des éléments
-116, 117-
Première partie
L’esthétique transcendantale
§1
a. Soit une connaissance qui se rapporte à un objet. Une telle connaissance suppose quelque chose entre le sujet et cet objet, que nous désignons du terme très général d’intuition.
C’est dans l’intuition que l’objet nous est donné.
L’intuition, en effet, n’a lieu que si l’objet affecte l’esprit.
Les objets affectent notre esprit par la médiation de la sensibilité. Mais c’est par l’entendement qu’ils sont pensés. De l’entendement procède le concept de l’objet.
Aucun objet ne peut être donné autrement que par la médiation de la sensibilité.

b. L’effet produit par l’objet sur notre capacité de représentation est une sensation.
L’intuition qui se rapporte à l’objet à travers une sensation est une intuition empirique.
L’objet d’une intuition empirique est appelé phénomène.
-118-
a. Analyse du phénomène.
La part du phénomène correspondant à la sensation est la matière du phénomène.
La part du phénomène correspondant à l’ordonnancement de cette matière s’appelle la forme du phénomène.
La matière du phénomène nous est donnée a posteriori (dans l’expérience). La forme réside a priori dans notre esprit.
La forme n’est en aucun cas une sensation.

b. La forme pure (indépendante de toute expérience) se trouve a priori dans l’esprit.
La forme pure de la sensibilité est appelée intuition pure.
Si de la représentation d’un corps on met entre parenthèses tout ce qui relève de l’expérience, il nous reste quelque chose de ce corps : l’étendue et la figure, qui appartiennent à l’intuition pure (résidant a priori dans notre esprit). Il s’agit d’une simple forme de la sensibilité.

c. La science de tous les principes a priori de la sensibilité s’appelle esthétique transcendantale.
On distinguera donc deux parties dans la théorie transcendantale des éléments : l’esthétique transcendantale, et la logique transcendantale qui contient les principes de la pensée pure.
-119-
a. Dans l’esthétique transcendantale, nous commencerons par séparer le champ de l’entendement et celui de la sensation, pour ne garder que l’intuition empirique. Ensuite, nous détacherons de cette intuition empirique tout ce qui appartient à la sensation pour ne conserver que l’intuition pure et la simple forme des phénomènes.
Il y a deux formes pures de l’intuition sensible : l’espace et le temps.

 
Première section de l’esthétique transcendantale
De l’espace
§ 2 Exposition métaphysique de ce concept

a. Le sens externe : propriété de notre esprit par laquelle nous nous représentons les objets comme extérieurs à nous. Par le sens externe, nous nous représentons tous les objets dans l’espace.
Le sens interne : propriété de notre esprit par laquelle l’esprit s’intuitionne lui-même. Le sens interne ne fournit pas l’intuition de l’âme comme un objet.
Tout ce qui appartient aux déterminations internes est représenté selon des rapports temporels.
Le temps ne peut pas être intuitionné comme quelque chose d’extérieur ; l’espace ne peut pas être intuitionné comme quelque chose d’intérieur.
-120-

Que sont l’espace et le temps ?
Trois réponses possibles :
- des êtres réels ;
- des déterminations ou des rapports des choses inscrits dans les choses elles-mêmes ;
- des propriétés de la constitution subjective de notre esprit donnant une forme à notre intuition.

Exposition du concept de l’espace
1. L’espace n’est pas un concept empirique.  La représentation de l’espace est une condition de l’expérience, elle ne peut donc pas en découler.
2. Donc l’espace est une représentation nécessaire a priori.
On ne peut jamais construire de représentation d’un objet extérieur dans laquelle il n’y aurait pas d’espace.
-121-
3. L’espace n’est pas un concept discursif (construit) mais c’est une intuition pure.
Une intuition pure a priori est à la base de tous les concepts que nous avons de l’espace.
4. La représentation originaire de l’espace est donc une intuition a priori, pas un concept.

-122-
§ 3 Exposition transcendantale du concept de l’espace

La notion d’exposition transcendantale d’un concept.
Soit un concept tel qu’à partir de lui d’autres connaissances synthétiques a priori puissent être aperçues. Exemple : l’espace et les propositions de la géométrie.
L’explication de cette capacité que peut avoir un concept à déboucher sur d’autres connaissances synthétiques a priori s’appelle l’explication transcendantale de ce concept.

b. La géométrie détermine synthétiquement et a priori les propriétés de l’espace.
Les propositions de la géométrie sont toutes apodictiques : elles contiennent la conscience de leur nécessité.
Quelle doit être la représentation de l’espace qui rende cela possible ?
1. Ce doit être une intuition et non un concept.
2. Une intuition a priori (pure et non empirique).

Ces conditions ne peuvent être remplies que si l’intuition réside dans le sujet, constituant la propriété formelle que le sujet possède d’être affecté par des objets.
Cette intuition constitue la forme du sens externe.

Il n’y a pas d’autre manière de comprendre la possiblité de la géométrie comme connaissance synthétique a priori.

-123-

Conséquences résultant des concepts précédents
L’espace n’est pas une propriété ou une détermination inhérente aux objets eux-mêmes.

Définitions équivalentes de l’espace :
- L’espace est simplement la forme de tous les phénomènes des sens externes (chaque mot compte ici).
- L’espace est la condition subjective de la sensibilité sous laquelle une intuition externe est possible.
- (parag. suivant) L’espace est la forme constante de notre sensibilité, une intuition pure, condition de tous les rapports où des objets sont intuitionnés comme extérieurs à nous.
La forme de tous les phénomènes est donnée dans l’esprit avant toute perception effective.

L’espace n’est attaché aux choses comme prédicat que dans la mesure où ces choses nous apparaissent, à nous.
Nous ne pouvons parler d’espace que du point de vue d’un être humain et ne pouvons juger des intuitions d’autres êtres pensants.
Donc, nous ne pouvons pas faire des conditions particulières de la sensibilité des conditions de possibilité des choses mêmes, mais uniquement de leurs phénomènes.

-124-
Trois formulations de la même proposition, de la plus naïve à la plus critique :
1. Toutes les choses sont juxtaposées dans l’espace.
2. Toutes les choses prises comme objets de notre intuition sensible sont juxtaposées dans l’espace.
Ce qui conduit à la formulation suivante, universelle et valable sans limitation :
3. Toutes les choses comme phénomènes externes sont juxtaposées dans l’espace.
L’espace est une réalité dans le cadre de notre expérience des phénomènes : réalité empirique de l’espace.
Mais si par la raison nous pensons les choses en elles-mêmes, l’espace n’est rien de réel : idéalité transcendantale de l’espace.

-125-
L’espace est la seule représentation a priori se rapportant à un objet extérieur. En effet, les représentations telles que la sensation des couleurs, des tons, de la chaleur, bien qu’appartenant à la constitution subjective de la sensibilité, sont des sensations et non des intuitions. Aucune proposition synthétique a priori ne peut en dériver.
Il convient d’insister sur l’idéalité de l’espace, qui le met radicalement à part de toutes les autres représentations appartenant à la constitution subjective de la sensibilité.
Au sens empirique (dans la vie courante), nous traitons le phénomène (une rose par exemple) comme une chose en soi.
Pourtant, la rose peut apparaître à chaque œil d’une autre manière du point de vue de la couleur.
MAIS
Une fois reconnu le concept de phénomène dans l’espace comme transcendantal, nous savons que rien de ce qui est intuitionné dans l’espace (spatialement) n’est une chose en soi.
Les objets ne nous sont nullement connus en eux-mêmes. Ce que nous appelons objets extérieurs ne correspond à rien d’autre qu’à de simples représentation de notre sensibilité.

-126-

Deuxième section de l’Esthétique transcendantale
Du temps
§ 4 Exposition métaphysique du concept de temps
1. Le temps n’est pas un concept empirique. La représentation du temps intervient a priori comme fondement de toute perception de la simultanéité ou de la successsion.
2. Le temps est une représentation nécessaire, fondement pour toutes les intuitions.
3. Cette nécessité a priori fonde la possibilité d’axiomes apodictiques à propos des rapports temporels.
- Le temps n’a qu’une dimension.
- Différents temps ne sont pas simultanés, mais successifs.
Ces axiomes ne sont universels et apodictiques que parce qu’ils ne sont pas tirés de l’expérience.
4. Le temps n’est pas un concept discursif mais une forme pure de l’intuition sensible.

-127-
La démonstration se fait à partir de deux propositions :
- Différents temps ne sont que des parties d’un temps unique.
- Le temps est infini.
Toute tentative de penser différents temps nous ramène nécessairement à la représentation d’un temps unique. La première proposition est donc immédiatement contenue dans la perception du temps ; elle ne peut dériver d’un concept.
5. Le temps est infini. Quel est le sens de cette proposition ? L’infinité du temps n’est pas extrapolée à partir de l’idée de temps conçus comme étant de plus en plus longs. Elle n’est concevable que par le fait qu’une grandeur temporelle déterminée n’est possible que sous la forme d’une limitation d’un temps unique intuitionné comme fondement.
La représentation entière du temps n’est pas donnée à partir de concepts. Elle est une forme pure de l’intuition sensible.

§ 5 Exposition transcendantale du concept de temps

L’essentiel de cette exposition se trouve au numéro 3 ci-dessus.
Le concept du changement et celui de mouvement ne sont possibles que par et dans la représenation du temps – intuition interne a priori - .
Autrement, on n’échapperait pas à des contradictions telles que le fait d’être et de ne pas être en un même lieu.
Le concept de temps explique la possibilité de la théorie générale du mouvement, ensemble de connaissances synthétiques a priori.

-128-
§ 6 Conséquences tirées  de ces concepts

- Le temps n’existe pas pour soi-même.
Un « quelque chose » sans objet réel peut-il posséder de la réalité ?
- Il n’est pas une détermination objective des choses.
Dans ce cas, il ne pourrait précéder les choses comme leur condition, c’est-à-dire être a priori.
- En revanche, si le temps est une forme de l’intuition interne, la condition subjective de toutes les intuitions, ces impossiblilités sont levées.

Le temps est la forme de l’intuition que nous avons de nous-mêmes, la forme du sens interne. Il détermine la relation des représentations (entre elles) dans notre état interne.
Comme l’intuition interne ne fournit aucune figure (spatiale), nous recourons à l’analogie spatiale de la ligne du temps.
A la différence de l’espace qui, comme condition a priori, est limité aux phénomènes extérieurs, le temps est la condition formelle a priori de tous les phénomènes en général.

-129-
Si nous prenons les objets en eux-mêmes, le temps n’est rien. Il ne possède de valeur objective qu’à propos des phénomènes.
En dehors du sujet, donc, le temps n’est rien.
Nous ne pouvons pas dire : « Toutes les choses sont dans le temps », puisque dans le concept de chose il est fait abstraction du mode d’intuition des choses.
En revanche, nous pouvons dire : « Toutes les choses en tant que phénomènes de l’intuition sensible sont dans le temps ».

Le temps a donc une réalité empirique relativement à l’expérience sensible (à toute expérience sensible).
Aucun objet n’est donné qui ne s’inscrive sous la condition du temps.
En revanche, comme nous l’avons déjà établi, le temps ne possède aucune réalité absolue.

-130-
Nous conclurons donc à l’idéalité transcendantale du temps.

§ 7  Explication

Ce paragraphe est consacré, dans sa plus grande partie (130 – 132) à la discussion d’une objection que la position kantienne a suscitée.
- Il existe des changements réels ;
- Les changements ne sont possibles que dans le temps ;
- Le temps est donc quelque chose de réel.
Kant accorde volontiers que le temps possède une réalité, mais subjective, par rapport à l’expérience intérieure, en tant que forme réelle de l’intuition interne.
- 131 –
Pris en dehors de la condition particulière de notre sensibilité, le temps n’existe pas.
+ L’argument ne convainc pas facilement. Pourtant, on parvient à le comprendre si l’on saisit bien le point de vue de Kant. Ce dernier ne nie pas qu’il se passe du côté des objets quelque chose qui correspond à ce que nous appelons le mouvement. En revanche, si la perception de cela nous amène à produire le concept de temps, c’est en raison de la structure propre de notre sensibilité et non du fait des objets eux-mêmes. +
Ensuite, Kant fait remarquer que ceux qui prétendent le réfuter de cette manière n’ont pas de doctrine satisfaisante à proposer à la place. Plus encore, ils restent eux-mêmes enfermés dans des contradictions insurmontables.
Ils affirment la réalité absolue de l’espace et du temps, mais ils ne peuvent la démontrer, puisque l’idéalisme (cartésien) leur interdit toute preuve de la réalité extérieure. La seule certitude est celle de l’objet du sens interne, l’ego cogito.
Pourtant, en accédant au concept de phénomène, ils pourraient surmonter l’impasse.
Le phénomène présente deux faces :
- l’objet en soi (dont les propriétés sont problématiques) ;
- l’intuition de cet objet dont la forme doit être cherchée dans le sujet auquel l’objet apparaît.
Comme sources de connaissances, l’espace et le temps ne s’appliquent qu’aux phénomènes et ne présentent pas de choses en soi.

- 132 -

En faisant de l’espace et du temps des sources de connaissance a priori, on peut en tirer diverses connaissances synthétiques.
L’espace et le temps constituent alors les bases indiscutables des connaissances synthétiques qui sont tirées d’eux (mathématique p. ex.).
En outre, le fait que ces formes (espace et temps) n’appartiennent qu’à notre intuition n’entame pas la sûreté de la connaissance expérimentale.
En revanche, soutenir la réalité absolue de l’espace et du temps (en tant que substances ou en tant qu’accidents), c’est se mettre en contradiction avec les principes de l’expérience.
- Les tenants de la substance (l’espace et le temps sont des choses) doivent admettre deux non-êtres éternels et infinis subsistant par eux-mêmes qui n’existent que pour comprendre en eux tout le réel.
- Les tenants des accidents (l’espace et le temps sont des propriétés des choses) sont obligés de renoncer à la certitude apodictique des mathématiques puisque l’espace et le temps ne sont alors que des produits imaginaires dérivés de l’expérience.

- 133 –
L’esthétique transcendantale ne peut contenir que ces deux éléments : l’espace et le temps.
Tous les autres concepts appartenant à la sensibilité (mouvement, changement, par ex.) supposent quelque chose d’empirique :
- Le mouvement suppose la perception de quelque chose de mobile ;
- Ce qui change, ce n’est pas le temps, mais quelque chose dans le temps.

§ 8 Remarques générales sur l’Esthétique transcendantale

+Kant, ici n’amène rien de nouveau. Il reprends la discussion de certains point délicats, ce qui ne peut que nous aider à les comprendre mieux.+

 A propos de la connaissance sensible.
L ‘intuition est uniquement la représentation du phénomène. Donc, les choses que nous intuitionnons ne sont pas telles que nous les intuitionnons. Mieux, nous n’avons pas accès à ce qu’elles sont en soi.
Notre intuition est telle qu’elle est, du fait de notre subjectivité, de la constitution subjective des sens, qui n’existent qu’en nous.
Les objets tels qu’ils sont en eux-mêmes nous restent donc entièrement inconnus.

- 134 –
Notre manière de percevoir, si elle appartient à tout homme, n’appartient pas nécessairement à tout être.
L’espace et le temps constituent les formes pures du phénomène et les sensations en sont la matière.
Comme ces formes ne peuvent être connues qu’a priori (avant toute perception réelle), leur connaissance s’appelle intuition pure.
En revanche, la sensation définit notre connaissance comme a posteriori et l’intuition comme intuition empirique.
On n’aura jamais accès aux objets en soi. Nous ne pouvons connaître complètement que notre mode d’intuition, auquel les conditions de l’espace et du temps sont indissolublement attachées.
Seule nous est donnée la connaissance du phénomène.

On ne peut donc pas prétendre que notre connaissance soit simplement une représentation confuse des choses telles qu’elles sont en elles-mêmes.
On peut avoir une représentations confuse d’un concept qui ne réside pourtant que dans l’entendement, comme le concept du droit (on ne perçoit pas le droit avec les sens). C’est le fait de la plupart des gens qui ne sont pas conscients de toutes les implications de ce concept. Ici, la confusion ne doit rien aux imperfections de la sensibilité.
« … la représentation d’un corps dans l’intuition ne contient absolument rien qui puisse appartenir à un objet en lui-même, mais elle contient uniquement la manifestation phénoménale de quelque chose et la manière dont nous en sommes affectés, et cette réceptivité de notre capacité de connaissance s’appelle sensibilité et demeure, quand bien même l’on arriverait à pénétrer le phénomène jusqu’en son fond, séparée pourtant par un abîme immense de la connaissance de l’objet en lui-même. »

- 135 –
Critique de Leibniz (et de Wolff, son continuateur).
On ne peut pas dire, comme ils le font, que nous connaissions la nature des chose mais de façon confuse. Ils ne voient pas que la différence entre la sensibilité et l’intellection est transcendantale ; ils ne voient pas la distinction a priori / a posteriori.
On a aussi tendance, dans l’intuition des phénomènes, à appliquer de façon erronée la distinction entre phénomène et chose en soi, en désignant par chose en soi ce qui vaudrait pour tout sens humain (la vraie explication du phénomène) et par phénomène ce qui dépend de l’organisation particulière de tel ou tel sens (ce qui apparaît). L’arc-en-ciel serait ainsi le phénomène et la pluie associée au soleil la chose en soi.
- 136 -
C’est une fois de plus ne pas voir que la relation de la représentation à l’objet est transcendantale.

Peut-on prouver l’Esthétique transcendantale ou n’est-elle qu’une hypothèse séduisante ?
c. Supposons l’hypothèse inverse : L’espace et le temps sont objectifs et constituent des conditions de possibilité des choses en soi.
Or, de l’espace et du temps on peut dégager un grand nombre de propositions synthétiques a priori et apodictiques. La démonstration qui suit vaut avant tout pour l’espace.
Sur quoi s’appuie notre entendement pour parvenir aux vérités absolument nécessaires et universellement valides que sont les propositions de la géométrie, connues synthétiquement et a priori ?
On ne peut y arriver que par des concepts ou des intuitions, lesquels sont donnés soit a priori, soit a posteriori. Examinons les quatre possibilités :
1. Les concepts a posteriori (empiriques) se fondent sur l’intuition a posteriori (empirique).
2. L’intuition a posteriori ne peut fournir que des propositions synthétiques a posteriori, donc ni nécessaires ni universelles.

-137-
3. Des concepts a priori on ne peut tirer qu’une connaissance analytique, or les propositions de la géométrie sont synthétiques.
4. Il ne reste qu’une candidate : l’intuition a priori.
On doit fournir l’objet de la connaissance a priori dans l’intuition et fonder sur lui la proposition synthétique.
Le fait de la géométrie nous oblige à admettre un pouvoir d’intuitionner a priori.
En d’autres termes, LE triangle (en général, donc ce qui fait partie nécessairement des conditions subjectives pour construire un triangle) n’existe pas en soi ; à l’extérieur, il n’y a que des triangles singuliers.
C’est donc une certitude que l’espace et le temps, en tant que conditions nécessaires de toute expérience (externe et interne) sont des conditions simplement subjective de notre intuition.

- 138 –
On parlera donc de l’idéalité du sens externe et interne.
Tous les objets des sens ne sont que des phénomènes.
Pour mieux le comprendre, on dira que ce qui dans nos connaissances appartient à l’intuition ne contient que de simples relations : lieux (étendue), changements de lieux (mouvements), lois de ces changements (forces motrices). Ce qui est présent dans le lieu ou ce qui change n’est pas donné par là.
A travers de simples relations, une chose en soi ne peut être connue.
Le sens externe ne peut donc contenir que la relation au sujet et non pas la réalité intrinsèque qui appartient à l’objet en soi. Idem pour l’intuition interne. Le temps où nous situons ces représentations précède la conscience que nous en avons dans l’expérience. Il contient déjà les relations de succession et de simultanéité, de permanence.
Donc :
- C’est l’intuition qui, comme représentation, précède tout acte de penser quelque chose.
- Dans la mesure où elle ne contient que des relations, c’est la forme de l’intuition.
- Et comme elle ne représente rien, elle ne peut être autre chose que la manière dont l’esprit est affecté par sa propre activité : un sens interne, du point de vue de sa forme.

-139-
Le problème de la représentation de soi
Comment un sujet peut-il s’intuitionner lui-même intérieurement ?
Il faut distinguer le sujet en tant que phénomène du sujet en tant qu’il est.
Tout ce qui est représenté par un sens est phénomène ; c’est donc le cas aussi de l’objet du sens interne.
La conscience de soi-même (aperception) est la simple représentation du Moi comme pure activité ; tout le divers qui est dans le sujet n’est pas donné de façon spontanée.
Le sujet s’intuitionne lui-même selon la façon dont il est intérieurement affecté : phénoménalement et non pas tel qu’il est.

III. Dire que les objets sont représentés tels qu’ils affectent nos sens, cela ne signifie pas que ces objets soient une simple apparence.
Les objets et leurs propriétés sont réellement donnés, dans le phénomène.
Mais l’objet donné (dans la dépendance du mode d’intuition du sujet) doit être distingué de l’objet en soi.
On ne peut pas dire que les corps paraissent être hors de nous ni que l’âme paraisse être donnée dans la conscience de soi.

- 140 –
Bien plutôt, c’est en affirmant la réalité objective de l’espace et du temps qu’on se voit contraint de tenir la réalité pour une simple apparence.
L’idée absurde d’imposer à toute chose, comme conditions nécessaires de leur existence, subsistant même lorsque toute chose a disparu, deux réalités infinies qui ne seraient ni des substances ni quelque chose d’inhérent aux substances nous invite à réduire les chose à l’état de simples apparences (comme le fait ce bon Berkeley).
A noter que l’ego cogito, seule certitude apodictique de l’idéalisme cartésien devrait être lui-même tenu pour une simple apparence.

IV. La théologie naturelle se forge la pensée d’un objet (Dieu) qui ne peut être un objet de l’intuition sensible. Elle le pense en outre comme doté d’une intuition affranchie de l’espace et du temps.
Mais comment peut-on légitimement le faire si l’on considère l’espace et le temps comme des conditions de l’existence des choses en soi ?
- 141 –
En tant que conditions d’existence de toute chose, elles devraient être des conditions d’existence de Dieu lui-même.
L’espace et le temps, formes subjectives de notre mode d’intuition (externe et interne) ne conditionnent pas l’existence de l’objet. Ils ne sont pas originaires, mais sous la dépendance de l’existence (préalable) de l’objet.
Le mode d’intuition dans l’espace et dans le temps, en dépit de sa portée universelle, est lié à la sensibilité (donc secondaire par rapport au fait de l’existence des choses en soi). C’est un intuitus derivatus et non originarius (comme le serait celui de Dieu).

Conclusion de l’Esthétique transcendantale

L’Esthétique transcendantale nous a fourni un des éléments requis pour la solution du problème général de la philosophie transcendantale : Comment des propositions synthétiques a priori sont-elles possibles ?
- Deux intuitions pures (espace et temps) où nous trouvons, dans le jugement a priori, le moyen d’aller au-delà du concept donné au départ.
- Il y a une limite cependant :  de tels jugements ne peuvent valoir que pour les objets d’une expérience possible.

Comme la traduction de ce paragraphe est vraiment bâclée dans l’édition GF, je la redonne littéralement, avec le texte allemand (accrochez vos ceintures !).

Hier haben wir nun eines von den erforderlichen Stücken
Ici, nous avons maintenant une des pièces exigées
zur Auflösung der allgemeinen Aufgabe der Transzendentalphilosophie:
pour la solution du problème général de la philosophie transcendantale :
wie sind synthetische Sätze a priori möglich?
comment des propositions synthétiques sont-elles possibles a priori ? (ordre de mots !)
nämlich reine Anschauungen a priori, Raum und Zeit,
à savoir (cette pièce) de pures intuitions a priori, l’espace et le temps,
in welchen wir,
dans lesquelles nous,
wenn wir im Urteile a priori über den gegebenen Begriff hinausgehen wollen,
si nous voulons faire sortir des jugements a priori au-delà du concept donné,
dasjenige antreffen,
(et) trouver cela
was nicht im Begriffe,
qui pas dans le concept
wohl aber in der Anschauung,
mais bien dans l’intuition
die ihm entspricht,
qui lui correspond
a priori entdeckt werden
peut-être découvert a priori
und mit jenem synthetisch verbunden werden kann,
et avec lui relié synthétiquement
welche Urteile aber aus diesem Grunde
lesquels jugements, cependant pour cette raison
nie weiter,
(ne peuvent être valides) jamais plus loin
als auf Gegenstände der Sinne reichen,
que portant sur des choses qui se rapportent aux sens
und nur für Objekte möglicher Erfahrung gelten können.
    et pour les objets d’une expérience possible.


CAFE-BABEL

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