Découverte d'une œuvre ou d'un auteur : questions de méthode
Après un certain temps d'immersion dans les textes, prendre position. Enoncer un ensemble structuré d'hypothèses à rejeter ou à confirmer et, dans tous les cas, à remanier en permanence.A propos de Lacan
Hypothèses provisoires, sujettes donc à une critique et un remaniement constants. En italique, les thèses les moins certaines. Chacun est invité à critiquer ces thèses, à les mettre en doute ou à les compléter.1. Chaque fois que, de notre point de vue, nous disons lacanien, cela signifie freudien du point de vue de Lacan lui-même. Lacan ne se présente pas comme un continuateur de Freud, mais comme celui qui a opéré un retour nécessaire à la théorie freudienne.
2. Ce retour à Freud ne doit pas être compris comme un pas en arrière et le repli sur une orthodoxie, mais comme la prise en compte de la rupture freudienne. Les continuateurs de Freud n'ont pas saisi la véritable portée de l'œuvre et l'ont en quelque sorte annulée en la réintégrant dans les cadres que Freud avait pourtant bousculés. Il ne s'agit donc pas de se référer aux œuvres de Freud comme si elles contenaient des vérités immuables, mais de reprendre le processus d'élaboration de la psychanalyse là où il a été interrompu.
3. L'œuvre de Lacan est pour l'essentiel une théorie du sujet.
4. Le sujet lacanien n'est évidemment pas le « moi » du sens commun, la représentation de soi que l'on s'est construite. C'est le « je » insaisissable auquel renvoient toutes nos actions, toutes nos pensées, toutes nos paroles.
5. Le processus par lequel s'élaborent les différentes représentations (conscientes ou inconscientes) que le sujet a de lui-même fonctionne comme un système optique déformant. Nous nous fixons sur des représentations de substitution, décalées, déformées, parfois inversées.
6. Toutes ces représentations s'articulent sur trois registres : le réel, l'imaginaire, le symbolique. On ne peut débrouiller l'écheveau qu'en distinguant rigoureusement ces trois registres.
7. Le réel est ce qui est là, le cadre en quelque sorte. L'imaginaire c'est l'ensemble des images (des projections) que nous produisons pour nous représenter ce que nous tenons pour réel. Le symbolique, c'est la trame de toute pensée : le langage. Le symbolique est en particulier le champ de la relation psychanalytique.
8. Un objet peut être abordé dans ces trois registres : en tant que réel tel qu'il pourrait être en dehors de tout investissement ; en tant qu'imaginaire dans la mesure où le sujet y voit quelque chose de lui-même comme dans un miroir ; en tant que symbolique dans la mesure où comme signe il prend une fonction dans un discours.
9. Il n'y a pas de monde « intérieur ». En particulier, l'inconscient n'est pas le repaire des pulsions. C'est au contraire le « réseau » qui nous relie au reste de l'humanité. Il est structuré comme un langage. Il est le discours inconnu, indéchiffré, qui nous tient. A ce titre, l'inconscient est le discours de l'Autre. L'autre en tant qu'autrui, l'autre en tant que nous n'avons jamais accès à nous même que comme un autre.
Commentaire du point 9
On a forcément tendance à calquer notre représentation du psychisme sur celle du corps, comme si le psychisme était a) quelque chose b) tout naturellement quelque chose du corps, dans le corps. Pour un peu, on aurait envie de toucher l'inconscient ! Il faut commencer par se déprendre de cette manière de voir. Je pense pouvoir dire que pour Lacan l'inconscient est une chaîne signifiante, une phrase qui nous constitue, dont nous avons hérité à notre insu, qui existait pour une part avant même notre naissance, transmise en héritage, et pour une part construite dans les premiers âges de la vie. Une partie de notre texte, de notre récit personnel est effacée. "L'inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c'est le chapitre censuré; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs. A savoir :
- dans les monuments : et ceci est mon corps, c'est-à-dire le noyau hystérique de la névrose où le symptôme hystérique montre la structure d'un langage et se déchiffre comme une inscription (…);
- dans les documents d'archives aussi : et ce sont le souvenirs de mon enfance, impénétrables aussi bien qu'eux quand je n'en connais pas la provenance;
- dans l'évolution sémantique : et ceci répond au stock et aux acceptions du vocabulaire qui m'est particulier, comme au style de ma vie et à mon caractère;
- dans les traditions aussi, voire dans les légendes qui sous une forme héroïsée véhiculent mon histoire;
- dans les traces, enfin, qu'en conservent inévitablement les distorsions, nécessitées par le raccord du chapitre adultéré dans les chapitres qui l'encadrent, et dont mon exégèse rétablira le sens." (J. Lacan, Ecrits, 259)