1. Hypothèse de départ : "(...) sans la coopération, rien ne serait produit et il n'y aurait rien à distribuer".
Explication de la figure 1 :
-GPD = Groupe des Plus Défavorisés
GPF = Groupe des Plus Favorisés
Ces sont les deux groupes de la coopération sociale. On les définit exclusivement à partir du système de coopération dans lequel ils évoluent, et l'on calcule leur écart selon un indice censé mesurer leurs biens primaires. Celà dit, si l'on se réfère à la liste des biens primaires dressée plus haut, on se demande comment libertés, droits et respect de soi-même peuvent être reportés sur une échelle chiffrée. En fait, il me semble que, suivant les précisions de la section 17.3., c'est seulement sur la mesure de la richesse que l'on s'appuie dans ce graphique... Autrement, ça n'aurait pas de sens.
-La ligne des 45° représente l'égalité.
-La courbe OP modélise l'évolution de la production issue de la coopération.
-Les lignes parallèles sont des lignes de justice égales. Elles illustrent le principe de différence en ceci qu'à chaque progrès horizontal de la courbe OP, un progrès vertical doit être associé, comme un saut, qui favoriserait les GPD en réponse à l'augmentation du niveau de vie des GPF.
-D est le "point efficace le plus proche de l'égalité". Je me permets un petit rappel sur le "principe d'efficacité", car la note de Rawls en début de section, y renvoie. Le point sur cette notion est donné de façon complète au §12 de la Théorie de la Justice, pp99 à 102, mais je ne l'ai pas à portée de main... Je cite donc un article de Philippe Adair, intitulé La Théorie de la Justice de John Rawls, contrat social versus utilitarisme, et disponible à cette adresse :
p81 :
"La réflexion de Rawls s'inscrit dans la tradition de la philosophie des droits naturels et de la doctrine du contrat social ; elle propose une alternative valide à la doctrine utilitariste qui consiste à instaurer le primat du politique sur l'économique, à subordonner l'optimum de Pareto à un optimum social"
Plus loin, pp84-85, à l'occasion de l'explication du principe de différence, il est écrit :
"Ce qui semble relever d'un préjugé égalitariste et discriminant s'avère en fait une solution à la fois plausible et nécessaire à la détermination de l'optimum social. Il s'agit de combler, quant à la répartition, le vide qu'engendre le critère d'optimalité de Pareto que Rawls dénomme "principe d'efficacité". Le critère de Pareto énonce qu'une configuration est efficace s'il est impossible de la modifier de telle sorte que l'on puisse améliorer la situation d'au moins un individu sans détériorer celle d'au moins un autre individu (Pareto, 1906).
(...) le critère de Pareto permet d'aboutir à l'optimum économique (...).
Rawls propose (...) d'inverser la démarche en posant préalablement l'exigence d'une juste répartition qui soit compatible avec le "principe d'efficacité". En d'autres termes, Rawls subordonne l'efficacité qui doit régner au sein de la structure socio-économique à la fraternité"
nb : l'auteur de l'article que je cite avait assimilé, plus haut, le principe de différence à la notion de fraternité.
-Avant D, donc, à chaque intersection de la courbe OP avec une ligne de justice égale, le principe de différence est respecté.
-Le point N situe Nash, qui maximise le "produit des utilités", et le point B, Bentham, "où la somme des utilités individuelles est maximisée".
-Le point F est le point féodal : une ligne verticale en fait. Les plus riches s'enrichissent, et paix à l'âme des autres.
2. "Un système de production est en grande partie défini par la manière dont ses règles publiques organisent l'activité productive, spécifient la division du travail, assignent des rôles variés à ceux qui y sont engagés, et ainsi de suite".
Chaque système est différent en ce qui concerne la répartition des salaires et rémunérations. Pour Rawls, il est juste qu'une fonction à hautes responsabilités soit mieux rémunérée qu'une autre.
Il parle aussi d'efficacité des systèmes. Chacun d'entre eux possède son propre tracé pour la courbe OP. Plus la courbe OP d'un système arrive haut et, à hauteurs égales, plus son maximum se situe à l'est du graphique, plus le système est dit efficace.
Le rôle du principe de différence est de faire en sorte que le point D soit atteint.
3. Une caractéristique du principe de différence se développe sous deux aspects :
-d'abord, en ce que le principe de différence n'exige pas une croissance infinie. La seule nécessité pour le respecter, c'est que l'on se situe sur la partie croissante de la courbe OP. Autrement dit, si les attentes légitimes du GPD augmentent ou diminuent, il faut que ce soit en fonction de celles du GPF. C'est tout.
-ensuite, le principe de différence exige que l'on améliore le sort des défavorisés, tout en respectant leurs libertés, dont celle d'être sans-emploi ("La priorité de la liberté signifie que nous ne pouvons pas être forcés de nous engager dans une activité laborieuse qui serait hautement productive en termes de biens matériels", p97)
4. Une question : pourquoi, parmi les trois facteurs contingents menant à l'inégalité (section 16.1.), le genre et l'origine ethnique par exemple, ne sont pas pris en compte ? (alors que les discriminations sont un fait avéré)
Tout simplement parce que la justice comme équité est d'abord une théorie, hors-historicité. Elle présuppose la liberté et l'égalité des chances. Et les plus défavorisés ne sont reconnus que par comparaison des richesses (donc d'un type de biens primaires), indépendamment de tout trait physique, donc.
5. Le principe de différence existe toutefois aussi pour prévenir les effets d'une éventuelle discrimination. Si les femmes sont défavorisées, par exemple, il faudra faire en sorte compenser cela en leur donnant plus. Mais "dans une société bien ordonnée de notre temps, (...) la justice comme équité suppose que les positions pertinentes représentatives définies par les biens primaires doivent suffire".
6. Cette dimension de la justice comme équité n'avait pas été traitée dans la Théorie de la Justice, par omission.