Section 19 : Objections au moyen de contre-exemples

1. On teste les principes de justice mis en évidence à partir de trois contre-exemples. Les deux premiers sont liés.
(a) on suppose que la courbe OP est très faiblement croissante jusqu'au point D. GPD est clairement défavorisé.
(b) après le point D, on suppose OP très faiblement décroissante. GPF semble défavorisé, mais je n'ai pas saisi pourquoi (fugitivement, je me suis dit que c'était peut-être parce qu'alors qu'ils continuent à faire du profit, aux dépends cette fois des GPD, la richesse de ces derniers ne diminue pas vite : le système de taxes serait trop sévère ?! Pourtant, ils continuent d'amasser, et l'argumentation rawlsienne en réponse à ce contre-exemple a l'air de contredire l'interprétation que je viens de donner dans cette parenthèse, puisqu'il explique que grâce au système de taxes, cette courbe, de pente si faible, n'est pas possible...)

Répliques rawlsiennes :
(a) Il est très peu probable que cette courbe soit réalisable dans un système soumis aux deux principes de justice (liberté, égalité des chances). Dans un tel système en effet, chacun peut développer ses dons par l'éducation, et tous les postes sont accessibles à tous (moyennant compétences requises). Donc il est impossible qu'un groupe de favorisés clôt ne se forme. Les défavorisés peuvent toujours "décoller", diminuant ainsi la proportion de défavorisés, ce qui se traduit par une pente de courbe plus raide.
(b) Il existe un système de taxation pour transférer aux plus défavorisés une part de ce que gagnent les plus favorisés. Donc cette courbe ne peut exister dans le système que nous décrivons. Et je ne vois absolument pas pourquoi. Je peux te scanner le passage si tu veux... :) :)

2.-Les deux principes de justice ne peuvent conduire à ce genre de courbes.
-Le but de la justice comme équité est considéré comme atteint si le principe de différence est réalisé dans un système régi par les deux principes.
-Le principe de différence ne stipule EN AUCUN CAS que le ratio entre la part des plus favorisés et celle des plus défavorisés doit être compris dans une fourchette précise.
-Le principe de différence n'est pas égalitaire en ce qu'il prêcherait l'égalité des parts ; mais il l'est dans un sens qui sera développée dans la 3ème partie : il sélectionne le point efficace D, le plus proche de l'égalité (avant D, ce ne sont pas des points efficaces ; après D, c'en sont, mais ils sont de plus en plus loin de l'égalité).

3. Troisième contre-exemple (longs remerciements, en note, de Rawls à Brian Barry, qui est l'auteur de cette critique ayant mené à la révision du principe de différence) :
        Indiens      Britanniques
(1)    100           100
(2)    120           110
(3)    115           140
Posons ces trois situations sous trois constitutions différentes.
Le principe de différence sélectionne la constitution (3), parce qu'alors les plus défavorisés sont plus favorisés que sous n'importe quel autre système.
Un reproche que fait Rawls à l'auteur de cet exemple, c'est d'avoir donné aux "individus" des dénominations trop rigides. Indiens, Britanniques... Les individus constituent alors des groupes séparés en fonction de leurs particularités physiques...
Les chiffres quant à eux, indiquent que les plus défavorisés dans un système de coopération donné peuvent très bien être les plus favorisés dans un autre.

4. Pour justifier cette élection de la constitution (3) par le principe de différence, Rawls s'appuie sur la notion de "voisinage". En fait, la structure de base est organisée en différents systèmes de coopération qui, lorsqu'ils sont proches (pas dans l'espace d'après ce que je comprends), peuvent être dits au voisinage les uns des autres. On considère que c'est à ce voisinage qu'il faut se référer pour jauger la richesse. Ainsi, la vraie question n'est pas "pourquoi 3 et pas 2 ?", mais "pourquoi 3 et pas 1 ?". La réponse, c'est que par rapport au voisinage, 1 est la pire des options possibles. Au contraire, nous dit Rawls, "dans le voisinage de l'option (3), il n'existe aucun autre arrangement qui pourrait améliorer le sort des Indiens en détériorant celui des Britanniques". Pour comprendre cette phrase, il faut considérer, je pense, que seules les trois options présentées dans l'exemple existent. A ce moment là, on voit bien que, rapportée à chacune des autres options, (3) est numériquement plus avantageuse pour chaque groupe, en dépit de l'incroyable écart qui sépare alors Indiens et Britanniques.

5. -Remarques sur le caractère artificiel de ce contre-exemple-qui-n'en-n'est-pas-un : avec les principes de justice de la justice comme équité, les classes Indies/ Britanniques ne voudraient rien dire au niveau de la richesse... elles seraient sensiblement égales à ce niveau, parce qu'aussi bien les Indiens que les Britanniques pourraient accéder aux statuts les plus favorisés. Il y aurait dans chacun de ces deux groupes (artificiels) des mieux et des moins bien lotis.
- Objection possible de la part des Indiens (oui, car depuis 4, on est dans la situation fictive d'une justification du choix de la constitution (3) au groupe des Indiens): ils seraient mieux lotis dans le système (2). Seulement, rétorque Rawls, le principe de différence n'est pas un principe d'intérêt mais de réciprocité. Il stipule que les moins bien lotis doivent être mieux lotis que dans n'importe quel autre système compatible avec les deux principes de justice. C'est quelque chose qui concerne le niveau de vie de la communauté.

(mais je me demande si l'écart significatif entre les revenus/richesses des deux groupes ne peut pas permettre à l'un d'exclure l'autre groupe d'un certain nombre d'activités dont le prix serait exprès calibré aux dimensions du luxe. Pour prendre un exemple parlant, on pourrait évoquer Moscou, royaume par excellence du clivage entre riches et pauvres. Evidemment, leur système n'a rien de comparable avec celui qu'évoque Rawls, mais je cite ça juste à cause de l'étrange tableau que brossent ce genre de sociétés où l'extrême richesse côtoie la misère. Ca parlerait plutôt en faveur de l'établissement de limites qui encadreraient les "ratios" de parts, dont parlait Rawls plus haut. Mais c'est justement ce que le principe de diffénce interdit, et moi, je dis ça "en l'air" sans savoir de quoi je parle.)
-"J'ai analysé cet exemple pour illustrer le soin qui doit être pris à élaborer des contre-exemples au principe de différence. L'exemple nous rappelle : (a) que ce principe ne s'applique que lorsque les principes qui ont priorité sur lui sont satisfaits [[entre deux crochets, ce sont les notes de ma patte : ici, pour préciser que ce (a) peut aussi se réfèrer aux deux premiers contre-exemples]], (b) qu'il présuppose l'existence d'un certain continuum de structures de base réalisables [[c'est de cela qu'il était question avec la notion de voisinage]], (c) que des exemples numériques arbitraires peuvent aisément nous induire en erreur sauf si nous prêtons soigneusement attention au contexte institutionnel accessible au sens commun [[cf le passage du "pourquoi (3) plutôt que (1), l'égalité parfaite ?]], (d) que le principe de différence est un principe de justice et non un appel  l'intérêt d'un groupe particulier [[cf objection des Indiens]], enfin et bien entendu (e) que les positions sociales pertinentes doivent être correctement spécifiées (non pas, par exemple, au moyen de désignateurs rigides) [[donc il faut travailler sur quelque chose d'aussi impersonnel que "groupe A" et "groupe B", car la répartition "Indiens" et "Britanniques" n'a, économiquement, aucune portée, et complique les choses...]].
Si nous appliquons le principe de différence isolément, en ignorant ces points, nous aboutissons à un non-sens."


monochrome.dream

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