Pour L.

Et si la mort par la ciguë était vraiment le seul destin possible pour l'homme Socrate et donc pour le philosophe qu'il a été ? On s'insurge contre l'infamie du tribunal, contre l'ingratitude des Athéniens. Mais si tout cela n'était en fin de compte que justice, le seule dénouement possible, la seule issue pour l'homme que Socrate avait choisi d'être ? Et si tout le platonisme, la haine du corps, la quête d'une vérité inaccessible dans ce monde, si tout cela n'était que la conclusion d'une expérience philosophique avortée ? Et si la mort de Socrate n'exprimait qu'un constat tragique : on ne peut réformer le monde ? Massimo Stella (1) insiste beaucoup sur la figure d'Alcibiade et sur la place d'Alcibiade dans l'aventure socratique. Alcibiade présenté comme l'homme le plus doué de son temps, une sorte de perfection potentielle. Pourtant, malgré Socrate, Alcibiade tourne mal, et, à cause de Socrate en partie, Athènes, autre perfection potentielle, est ruinée. La cité idéale : une entreprise sans espoir.
Si cela ne marche pas avec Alcibiade, si cela ne marche pas avec Athènes, alors cela ne peut marcher avec personne, nulle part.
Socrate paie donc de sa vie son échec avec Alcibiade. Il a tenté de faire de lui un homme idéal ; ce faisant, il a aiguisé ses ambitions, il l'a poussé en avant, éveillé ses aspirations à la tyrannie, il a contribué malgré lui à la ruine d'Athènes.
Socrate, était l'homme le plus juste de son temps. Cette immense qualité ne l'a pas mis à l'abri de l'erreur, ne la pas empêché de déchaîner un torrent d'injustice sur la cité.
Alors, le discours sur l'immortalité de l'âme, puis la mort héroïque, tout cela ne serait peut-être qu'une manière de finir en beauté. Toutes les considérations du Phédon, auxquelles personne ne peut croire, ne vaudraient peut-être que pour Socrate, et peut-être même ne s'agissait-il pour lui que de consoler ses amis. Ce que Socrate pensait vraiment, qui peut le savoir ?
Le Phédon se réduirait à une sorte de préfiguration désespérée du pari de Pascal.
En conclusion, il n'est pas forcément juste de tenir le Socrate des Dialogues pour le porte-parole de Platon. Les Dialogues socratiques pourraient être compris au contraire comme une méditation immense et passablement désabusée de Platon sur l'échec de Socrate.

(1) L'Illusion philosophique, La Mort de Socrate sur la scène des Dialogues platoniciens. Jérôme Million 2006


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Par soft-snow le Jeudi 4 octobre 2007 à 9:19
J'ai lu l'apologie hier soir. Ca m'a inspiré une idée bizarre à propos de Socrate, et surtout ça m'a abrutie d'une putain de prise de conscience. Une chose que je savais sans m'en rendre compte m'est apparue on ne peut plus clairement, comme à chaque fois que je lis Platon, mais j'aurais du mal à poser des mots dessus je crois.
Me restent Criton et le Phédon, le fameux Phédon dont tu parles ici... Je garderai ce texte à l'esprit, puis on en parlera si tu veux ?
 

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