- Ah, je vois, vous êtes un spécialiste de Nietzsche ? Ça tombe bien, parce que justement…
- Un spécialiste, moi ? Pas du tout. Mais je sais lire et ce que je lis, je peux en parler, un peu.

Et ça tombe bien, parce que Nietzsche, on ne le résume pas. Il faut le lire.

Par delà le bien et le mal (1886)

C'est comme un blog. Une succession de textes brefs, beaucoup plus brefs que les chapitres d'un livre, le tout regroupé sous un titre. Une pensée qui s'exprime de façon discontinue. Choix esthétique ? Impuissance ?
Ne cherchons pas midi à quatorze heures. Un choix, peut-être, mais surtout une nécessité. Cette pensée-là, de bout en bout, est incompatible avec tout système. Tenter vaille que vaille une synthèse de tout cela, ce serait passer à côté.
L'idée que la pensée est une, homogène et exprimable d'un seul jet est une croyance.
Ne cherchons donc pas à résumer Nietzsche, à le mettre en système.

A propos de Nietzsche, on prend volontiers prétexte de sa folie pour dire : c'est fulgurant, mais tout n'est pas bon à prendre. Il faut savoir garder ses distances, faire la part du délire. On se rassure ainsi à bon compte. En effet, si on joue le jeu, si on accepte de voir les chose de là où il s'est posté pour les examiner, on ne peut que reconnaître la pertinence de son regard. Nietzsche, c'est une ligne de rupture. Il ne détruit pas, il reconnaît avant les autres la fin de la philosophie, le caractère illusoire de nos garde-fous, la course à l'abîme. Il n'a pas tué Dieu mais seulement constaté sa mort.
Il ne dit pas : la Vérité parle par ma bouche, croyez-moi sur parole. Mais seulement : Je dis ce que j'ai à dire. Ecoutez-moi si vous voulez, et faites-en ce que vous pourrez.

§1
Der Wille zur Wahrheit, der uns noch zu manchem Wagnisse verführen wird, jene berühmte Wahrhaftigkeit, von der alle Philosophen bisher mit Ehrerbietung geredet haben: was für Fragen hat dieser Wille zur Wahrheit uns schon vorgelegt! Welche wunderlichen schlimmen fragwürdigen Fragen! Das ist bereits eine lange Geschichte, - und doch scheint es, dass sie kaum eben angefangen hat? Was Wunder, wenn wir endlich einmal misstrauisch werden, die Geduld verlieren, uns ungeduldig umdrehn? Dass wir von dieser Sphinx auch unserseits das Fragen lernen? Wer ist das eigentlich, der uns hier Fragen stellt? Was in uns will eigentlich "zur Wahrheit"? - In der that, wir machten langen Halt vor der Frage nach der Ursache dieses Willens, - bis wir, zuletzt, vor einer noch gründlicheren Frage ganz und gar stehen blieben. Wir fragten nach dem Werthe dieses Willens. Gesetzt, wir wollen Wahrheit: warum nicht lieber Unwahrheit? Und Ungewissheit? Selbst Unwissenheit? - Das Problem vom Werthe der Wahrheit trat vor uns hin, - oder waren wir's, die vor das Problem hin traten? Wer von uns ist hier Oedipus? Wer Sphinx? Es ist ein Stelldichein, wie es scheint, von Fragen und Fragezeichen. - Und sollte man's glauben, dass es uns schliesslich bedünken will, als sei das Problem noch nie bisher gestellt, - als sei es von uns zum ersten Male gesehn, in's Auge gefasst, gewagt? Denn es ist ein Wagnis dabei, und vielleicht giebt es kein grösseres.

«  Wille zur Wahrheit » , volonté de vérité, fait évidemment écho au fameux « Wille zur Macht », qu'on traduit en général par volonté de puissance. Dans les deux formules, le terme le plus important est évidemment Wille : volonté.
    - Que veut le philosophe, que veut l'homme ?
    - Que pourrait-il vouloir d'autre que le vrai ? La philosophie ne procède-t-elle pas tout entière de ce         vouloir ?
    - Donc, vous admettez sans restriction que Vérité, il y a ?
    - Comme réalité ou comme norme, en effet, elle est. Mais là n'est pas la question.
Nietzsche ne veut pas savoir si la vérité est, et si oui comment. La vérité, c'est comme le Bien, comme le Mal : quand on est au-delà…
Non. Ce qu'il pointe du doigt, c'est ce lien « nécessaire » entre la vérité (si possible avec un V majuscule) et le vouloir de l'homme.
Et là, il retourne toute la philosophie comme une crêpe.
Au-delà du Bien et du Mal, en effet, on doit poser à nouveau, et de façon radicale, la question du vouloir de l'homme, donc de l'homme.

Mais il y a aussi ce Sphinx et cet Œdipe, qui semblent hésiter sur leurs rôles réciproques dans ce retour du vieux mythe.
Dans le mythe, c'est le Sphinx qui interroge. Une question vitale, puisque le candidat malgré lui sera dévoré s'il répond à côté. Peu importe la question, c'est la réponse qui compte : « l'homme ». En répondant au Sphinx, l'homme doit donc se trouver lui-même, sinon il meurt. Œdipe trouve la réponse, c'est le sphinx qui doit mourir.
Vainqueur, Œdipe ? Pas vraiment, puisque sa victoire contre le Sphinx lui rapportera le trône de Thèbes et signera l'accomplissement de la malédiction qu'il voulait éviter à tout prix. Une sacrée histoire !

La volonté de vérité, c'est le Sphinx. Et si, dans un sursaut extrême et ultime de ce vouloir de vérité, nous arrachions au Sphinx SA vérité ?
C'est-à-dire que tout cela n'est qu'un préjugé et que la Vérité proposée comme unique objet au vouloir n'est qu'un leurre, un détournement de ce vouloir.

    Première question : Qui veut le vrai, en somme ?
    Deuxième question : D'où nous vient ce curieux mariage du vouloir et du vrai ?
Sur ces questions, on s'use les dents. Ce ne sont pas encore les bonnes.
    Alors, troisième question : Que vaut le vrai ?

Mais, cette question, qui la pose ?
    - Le Sphinx, qui s'étrangle avec son propre vouloir et qui s'effondre sur lui-même ? (Voyez l'état de             la philosophie aujourd'hui.)
    - Œdipe, l'innocent, bientôt aveugle, qui ne sait pas quel risque il prend ?

Quel est donc ce risque ? Celui de nous rendre compte qu'au-dessus de l'abîme, le pont, sur lequel nous marchions si sereins quand nous ne posions pas de questions, ne possède pas de garde-corps, et même que sous nos pieds, il n'y a jamais eu de pont.
Il est urgent d'apprendre à voler.


CAFE-BABEL

Par monochrome.dream le Mardi 26 février 2008 à 18:36
Pour ce qui est d'apprendre à voler, ça se fera peut-être. Il y aura des efforts à faire, une acuité à réviser, des paradoxes à accepter. Mais des aides non négligeables, aussi. Elles viendront de Nietzsche lui-même, il suffira de lire et de comprendre, sans céder à la douce litanie du "non non non, j'ai peur d'y croire alors je me butte"...
Et puis les discussions, les discussions ça aide grandement.
Merci de m'aider à déplier ces textes terribles ; et mon esprit parfois un peu étroit, par voie de conséquence.
Par a.fleur.de.curiosite le Mardi 26 février 2008 à 22:11
Quelle introduction ! Ah vraiment.
Un coup de balai dans nos idées reçues histoire de faire un peu de place à ce qui va arriver.
Enfin, je parle, mais Nietzsche m'est plus qu'inconnu pour l'instant. Mais qui sait ? =)
Mon ignorance ne m'a en tout cas pas empêchée de fortement apprécier cette introduction.

PS: Ah, il faudra aussi que j'apprenne à voler ! Il va falloir que je me renseigne dis donc.
 

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