Y a-t-il pensée sans représentation ? Non, à moins de confondre la pensée avec le stimulus qui la provoque. Toute pensée, consciente ou inconsciente, est de l'ordre de la représentation.

A la base du concept de représentation il y a d'une part l'opposition de la représentation avec son représenté et d'autre part cette idée assez paradoxale qu'une représentation n'est possible que si elle préexiste au représenté. Kant avait très bien vu que la chose - nous pourrions dire aussi le stimulus - n'est pas ce qui produit la connaissance; celle-ci a donc besoin pour opérer des deux formes pures de l'intuition sensible et des catégories de l'entendement. Telle est la réponse qu'il fournit. La représentation n'est donc jamais simple présentation, mais, confrontation du stimulus primaire avec un ensemble de données que faute de mieux nous qualifieront de formelles; elle est, comme l'indique son nom une répétition.

Faut-il comme Kant postuler dans la constitution même de l'entendement, ou si l'on veut de l'appareil psychique, un ensemble d'éléments a priori qui ne doivent rien à l'expérience ? Ce qui revient, pour prendre une métaphore astronomique un peu grossière, à affirmer que notre connaissance dépend d'abord des propriétés du télescope qui nous sert d'instrument. Ou, faut-il plutôt admettre, comme le font Klein, et Winnicott, que l'instrument est pour une très large part construit dans les mois qui suivent la naissance et peut-être aussi pendant la grossesse, dans une relation étroite de l'enfant avec sa mère puis son environnement immédiat structuré selon l'oedipe ?

En tout état de cause nous retiendrons la distinction fondamentale que kant établit entre la chose en soi et le phénomène, mais sous une forme un peu particulière.

Essayons de ne pas raisonner à partir de certaines oppositions pertinente dans un nombre limité de cas et franchement trompeuses dans d'autres, telles que interne / externe, concret / abstrait, réel / conceptuel. C'est ce que nous faisons quand nous considérons la représentation comme un double purement mental du réel et que nous opposons un réel qui serait extérieur à nous à une représentation forcément interne. Tout cela n'est pas complètement dénué de fondements intuitifs, mais c'est aussi faux que l'idée de faire tourner le soleil autour de la terre.

Le jeu de la représentation est bien plus complexe que cela. D'abord, tout ce que naïvement nous appelons le réel est forcément de l'ordre de la représentation. Quand nous associons deux objets que nous considérons comme réels ou, plus simplement, comme existant hors de nous, comme cet arbre et cette maison, nous n'associons que nos représentations. Nous réserverons donc le substantif réel (le réel) à ce qui justement échappe à la représentation, à ce qui n'est pas couvert par elle, soit du fait de n'être pas encore entré dans notre champ de représentation, soit qu'il soit de facto inaccessible à celui-ci. Le réel est donc soit le non-représenté, soit le non-représentable. Dans le premier cas, c'est quelque chose qui vous attend au détour du chemin et à quoi vous ne sauriez vous attendre. On peut supposer dès lors que le nouveau-né subit la prépondérence du réel sur le représenté et qu'il éprouve un besoin vital d'étendre le champ de la représentation, ce à quoi il ne parviendra qu'en se constituant comme sujet. On peut avoir une vague idée du réel dans la littérature en méditant sur l'adjectif indicible.

Dès lors, notre activité mentale, ce que nous appelons la pensée, se déroule entièrement dans le champ de la représentation et par la médiation de ce que les linguistes appellent le signifiant. Le signifiant c'est une représentation dont la relation à un réel supposé est mise entre parenthèses au profit d'une relation à un autre signifiant. Ainsi, la perception d'une lettre sur un morceau de papier ne nous renvoie plus à une tache noire arbitraire, géométriquement ou chimiquement descriptible, mais à un son. Ainsi, une "chose" peut-elle être identifiée à une autre, utilisée pour une autre. C'est ainsi que l'ensemble des représentations muni de toutes ses opérations internes peut être appelé le symbolique. Nous reviendrons ultérieurement sur cette notion d'opération interne, mais notons cependant que toujours elles dépendent de la nature des éléments qu'elles combinent: elles obéissent aux caractéristiques propres du signifiant. Le sujet, lorsqu'il opère dans le champ des représentations n'est donc pas en lien avec le réel, le scientifique pas plus que le poète. La démarche scientifique n'est pas plus en prise sur le réel que n'importe quelle autre, à cela près qu'elle s'impose des règles de cohérence qui collent le plus étroitement possible aux données fournies par cette confrontation particulière de représentations que nous appelons expérience scientifique. Elle oriente sa recherche de représentations nouvelles grâce à des systèmes sophistiqués de représentations dont la propriété est d'être exemptes de contradiction aussi longtemps que possible; lorsque cela arrive, le modèle est adapté aux conditions nouvelles ou carrément aboli au profit d'un autre radicalement différent ou capable d'inclure l'ancien à titre d'élément subordonné.

Notre propos n'est pas de rendre compte du discours scientifique, mais bien d'essayer de penser ce qui est commun au scientifique et au poète dans le traitement de ses représentations, base commune qui permet d'ailleurs au scientifique d'être aussi poète sans se renier lui-même.

Nous ne suivrons pas la voie de l'a-priori kantien, ni ne nous cantonnerons au cadre de la phénoménologie, en tout cas pas au début, préférant la perspective génétique ouverte par les travaux de Melanie Klein et de D.W. Winnicott. Nous avons toujours pensé et défendu, nous référant à Lacan, que la psychanalyse a d'abord pour objet la dynamique de la représentation, qu'elle considère le sujet en tant qu'organisateur de ses représentations, soumis aux lois contraignantes du signifiant, qu'elle représente le complément nécessaire de la biologie pour rendre compte non pas du fait que nous pensons mais de la manière dont cette pensée en se développant, nous construit.

Comme point d'accès à cette problématique, nous choisirons un cas paradoxal, celui du mode de pensée autistique. L'autisme se présente à nous en effet comme le démenti de l'universalité de certaines normes de la pensée. Loin de toute pensée délirante ou dégradée, transformation pathologique d'une pensée considérée comme "normale", comme c'est le cas dans le délire paranoïaque par exemple, l'autiste nous révèle à des degrés divers un mode cognitif autre, un fonctionnement radicalement différent du mode de production des représentations. Si différent que nous sommes obligés de revoir complètement notre conception courante de la normalité, voire notre définition de l'humain. Nous espérons que cette voie sera féconde.

Directions de recherche :

1. Les modèles freudiens du fonctionnement psychique (Entwurf, Traumdeutung, écrits métapsychologiques, derniers écrits);

2. Les travaux de l'école anglaise : Melanie Klein, D. Winnicott, W Bion;

3. La question de l'autisme (bibliographie à constituer);

5. Les travaux de Lacan sur le signifiant, en particulier ceux qui traitent de topologie et des noeuds borroméens ;

6. Topologie proprement dite.

Toute contribution de personnes s'intéressant à ces questions est naturellement la bienvenue.

 

que-vent-emporte

Par pelote le Samedi 19 juin 2010 à 20:51
Fiou ! Quel projet ! Je pourrais peut-être apporter quelques petites choses pour le 1, 2 et 3.
J'avais moi-même commencé à rédiger un projet sur le lien entre le corporel et la symbolisation mais je crois que ça s'inscrit en partie dans ce que tu proposes dans le sens où je me dis que ce qui est de l'ordre du stimulus relèverait justement des racines corporelles et sensorielles (perception) et qui à un moment donné serait inscrit par le sujet dans un système de représentations plus ou moins chaotiques
/organisé. Je ne suis pas sûre d'avoir compris tout ce que tu as écrit mais je suivrai ce projet avec intérêt. Et comme je comptais justement faire une bibliographie regroupant les lectures en lien avec les questions de l'autisme, de la symbolisation et de la corporéité, je la proposerai ici. En attendant je me permets de signaler différentes bibliographies bien faites sur l'autisme:
http://dafor.scola.ac-paris.fr/trans/E%20Rey/BIBLIOGRAPHIE_autisme.pdf
http://www.orthophonistes.fr/upload/190120060927Bibliographie%20de%20base%20sur%20l_autisme%20septembre%202005.pdf
et celle-ci (révisée janvier 2010) : http://biblio-belleidee.hug-ge.ch/_library/pdf/bibliogr_autisme_infantile01_10.pdf
(Post-Commentatum: la taille de la police est toute petite!)
 

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