Avertissement aux amateurs de copier-coller et aux gardiens de l'orthodoxie :
Ce texte est un document de travail, pas un exposé magistral. Son contenu ne saurait faire autorité.



J'aimerais faire le point sur cette fameuse distinction entre réel, imaginaire et symbolique, qui n'est pas seulement essentielle à la compréhension des écrits de Lacan (qui s'en soucie en fin de compte?) mais qui permet de sortir de bien des impasses dans les représentations que nous pouvons nous faire du sujet humain, de son rapport au monde et, en particulier, de son rapport au langage.

Lacan en parle de manière très claire dans les premières leçons de son quatrième séminaire, consacré à la relation d'objet. Et comme il le fait à travers une série d'exemples ou la présentation d'autres concepts, nous n'avons qu'à le suivre sur ce terrain-là.

Première approximation :

1. Le réel est ce qui est, indépendamment de nous. Nous faisons nous-mêmes partie du réel ; mais le réel en tant que tel (donc hors de toute représentation et de tout sens) nous échappe.

2. L'imaginaire (image) est le registre de la représentation. Et particulièrement de la représentation en tant qu'elle vient de nous. Le réel représenté procède toujours d'une forme d'hallucination. La représentation est une projection du sujet sur le réel.

3. Le symbolique est le registre du sens. Quand le réel devient signifiant (ce qu'il est toujours pour nous), c'est-à-dire quand une chose signifie (pour nous, forcément pour nous) autre chose au-delà d'elle-même. Le sens procède d'une introjection du réel.

Exemple 1

Le réel et le symbolique

Prenons une bibliothèque (universitaire ou non). Tous les livres sont rangés de façon qu'on puisse les retrouver. Qu'un livre ne soit pas à sa place, il manque. En parlant ainsi, nous ne nous situons pas dans le réel, mais bien dans le symbolique. Dans le réel – qui ne mérite pas plus de s'appeler bibliothèque qu'autrement -, chaque chose est forcément à sa place, où qu'elle se trouve, le livre égaré aussi bien que tous les autres, parce que dans le réel "ne pas être à sa place" n'a pas de sens. Le réel, c'est donc tout ce dont est fait la bibliothèque, mais sans qu'on y voie une bibliothèque, ce qui n'est pas facilement concevable. Que ce réel porte le nom de bibliothèque et soit considéré comme tel, il devient un ordre et change de registre ; la disposition des objets prend un sens, devient lisible; certain objets sont à leur place, d'autres manquent. Un vide dans la bibliothèque signifie un livre manquant. Une bibliothèque, ce n'est pas du réel, mais du symbolique.

Commentaire
L'exemple de la bibliothèque est le plus simple à comprendre. Transposée dans le registre du réel, la bibliothèque n'a rien d'une bibliothèque. C'est un amas de choses qui est tel qu'il est et qui ne peut être autrement. Puisqu'il ne peut être autrement, il est absurde de désigner dans cet amas quelque chose qui serait un manque. Il ne peut y avoir de manque dans le réel (mais il peut y avoir un manque réel, souffrance réelle résultant du manque de quelque chose qui a un sens pour nous – nourriture ou autre- donc d'un objet symbolique).
Mais dès que cet amas est reconnu comme étant une bibliothèque, le jeu des pleins et des vides prend un sens très précis (symbolique), il présente une structure (symbolique): une bibliothèque, pour les bibliothécaires et pour les lecteurs n'est telle qu'en tant qu'appartenant au registre symbolique.


Exemple 2

L'imaginaire et le réel

Le premier contact de l'enfant avec le monde, le contact avec le sein maternel, se fait sur le mode hallucinatoire, donc imaginaire. Il ne fait pas encore de distinction entre lui-même et le monde extérieur. Au besoin de nourriture, qui relève de la pulsion, du système primaire, correspond une production imaginaire, hallucinatoire de l'enfant, même si la réponse de la mère, la satisfaction du besoin, relève du réel.
"… pour que les choses se passent bien, à savoir pour que l'enfant ne soit pas traumatisé, il faut que la mère opère en était toujours là au moment où il faut, c'est-à-dire précisément en venant placer au moment de l'hallucination délirante de l'enfant l'objet réel qui le comble. Il n'y a donc au départ, dans la relation idéale mère-enfant, aucune espèce de distinction entre l'hallucination du sein maternel, qui surgit par principe du système primaire selon la notion que nous en avons, et la rencontre de l'objet réel dont il s'agit.
"Si tout se passe bien, l'enfant n'a donc aucun moyen de distinguer ce qui est de l'ordre de la satisfaction fondée sur l'hallucination de principe liée au fonctionnement du système primaire, et l'appréhension du réel qui le comble et le satisfait effectivement." (J. LACAN, Séminaire IV, p. 34)

Exemple 3

Le principe de réalité, opposé au principe de plaisir

La satisfaction réelle du besoin du nouveau-né dans l'exemple précédent répond au principe de plaisir. Mais voici le principe de réalité (cette réalité-là n'est pas le réel tel qu'il se trouve défini plus haut) : "Il s'agit donc que la mère apprenne progressivement à l'enfant à subir les frustrations, et du même coup, à percevoir, sous la forme d'une certaine tension inaugurale, la différence qu'il y a entre la réalité et l'illusion. Cette différence ne peut s'installer que par la voie d'un désillusionnement, lorsque, de temps en temps , la réalité ne coïncide pas avec l'hallucination surgie du désir."
(J. LACAN, Séminaire IV, p. 34)
C'est ainsi que de l'hallucination originelle la réalité se démarque peu à peu.

Exemple 4

La privation, la frustration, la castration

Les trois termes de référence du manque de l'objet ou, si l'on veut, les trois modalités du manque.
La privation est réelle, la frustration imaginaire, la castration symbolique.

Privation
On ne peut parler de privation que du réel. "Nous dirons donc que la privation, dans sa nature de manque, est essentiellement un manque réel." (J. LACAN, Séminaire IV, p. 36)
Mais l'objet de la privation ne peut être que symbolique, parce que l'absence de quelque chose dans le réel est une affaire de sens, elle est purement symbolique.

Frustration
La frustration comme manque est un dam, un dam imaginaire. "Elle concerne quelque chose qui est désiré et qui n'est pas tenu, mais qui est désiré sans nulle référence à aucune possibilité de satisfaction ni d'acquisition." Elle se situe sur le plan imaginaire.
Mais l'objet de la frustration est tout à fait réel.

Castration
La castration est absolument coordonnée à la notion de la loi primordiale (interdiction de l'inceste et structure de l'Œdipe). La castration ne peut que se classer dans la catégorie de la dette symbolique.
L'objet de la castration, la punition, ce que sanctionne la loi, n'est (heureusement) pas un objet réel.
"La castration dont il s'agit est toujours celle d'un objet imaginaire."

Voilà. Si ce n'est pas clair, dites-le. Je reviendrai sur cette question autant de fois qu'il le faudra.





CAFE-BABEL

Par a.fleur.de.curiosite le Jeudi 8 novembre 2007 à 10:10
Très intéressants tes exemples! Et pour la privation, frustration et castration il faut que je retienne la différence entre leur "registre" et celui de leur objet. Il faudra aussi que je le lise ce séminaire IV. Et au niveau de la clarté, j'ai eu quelques difficultés sur l'exemple de la bibliothèque, mais j'ai relu plusieurs fois et je pense avoir saisi.
Par soft-snow le Mardi 13 novembre 2007 à 18:21
Très clair après relecture (moi c'est l'exemple 3 que j'ai eu besoin de relire, car même après une seconde lecture quelque chose m'échappait qui m'empêchait d'en saisir le sens) même si avec les trois modalités finales on risque de se mélanger les pinceaux si on ne l'apprend pas bien, tout de suite.
 

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